Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Jacob N. Shapiro, The Terrorist’s Dilemma: Managing Violent Covert Organizations (Princeton University Press, 2013, 350 pages).

C’est un travail d’excellente qualité que nous propose Jacob Shapiro, politiste de l’université de Princeton. La thématique dominante, la clarté des explications, la diversité des illustrations, la richesse des références bibliographiques en font un ouvrage quasi indispensable pour tout spécialiste déterminé à dépasser les grilles d’évaluation communes du terrorisme (références idéologiques et religieuses, tactiques offensives, appréciations psychologiques et psychiatriques, etc.)

The Terrorist’s Dilemma se focalise sur la dimension organisationnelle[1] et défensive du phénomène, avec un intérêt particulier pour les problèmes de management auxquels font face les couches supérieures et intermédiaires des groupements radicaux, face à un personnel exécutant doté d’une marge non négligeable d’autonomie. Traduction : pour maintenir la discipline interne et moduler l’exercice pertinent de la violence, les chefs se trouvent contraints de mettre en place des systèmes de contrôle interne (filtres, tests, audits, surveillances) qui ont un coût élevé et génèrent des risques additionnels (fuites de confidentialité, pertes de loyalisme). Tôt ou tard, il leur faut donc déterminer où se situe le point d’équilibre optimal entre sécurité et contrôle d’un côté, sécurité et efficience de l’autre. Le tout, sans perdre de vue les variables (pression des forces étatiques, objectifs stratégiques du moment, incertitudes tactiques, cohésion organisationnelle) qui déterminent la vulnérabilité sur le terrain, et affectent ce point d’équilibre.

Pour illustrer son propos, Shapiro a retenu quatre cas d’étude : Al-Qaida en Irak, les groupuscules révolutionnaires dans la Russie tsariste, l’Armée républicaine irlandaise (IRA) provisoire et les milices loyalistes en Irlande du Nord, le Fatah et le Hamas en Palestine. L’ouvrage a le mérite de s’appuyer sur un ensemble de documents de fonctionnement et de témoignages autobiographiques, qui montrent à quel point les leaders terroristes se comportent en agents rationnels, pas si différents des patrons de PME et autres dirigeants associatifs dans leurs manières de voir, de penser et d’agir. Ce qui les rend jusqu’à un certain degré prévisibles. Au final, The Terrorist’s Dilemma propose toute une série de recommandations destinées à guider les structures anti-terroristes dans leurs manœuvres de réduction de l’adversaire. Exemples : prendre en considération les dynamiques organisationnelles au lieu de diaboliser in abstracto, ne pas neutraliser trop vite les mous et les indécis, faciliter les défections, stimuler la diversification des canaux de financement, rendre les connexions familiales plus risquées, etc.

Leçon sous-jacente ? Pour être efficaces sur le long terme, les organes de sécurité étatiques se doivent de comprendre que leurs répertoires d’action passés et présents codéterminent les solutions négociées à venir, ou leur absence durable. Sens des nuances et facilités dialectiques bienvenus.


[1]. En guise d’inspiration directe, Shapiro évoque le texte d’Eli Berman, Radical, Religious and Violent: The New Economics of Terrorism, Cambridge, MA, MIT Press, 2009.