Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2014). Bertrand de la Chapelle propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Ian Brown, Research Handbook on Governance of the Internet (Edward Elgar, 2013, 500 pages).

Cet ouvrage coordonné par Ian Brown arrive à point nommé. En une vingtaine d’essais de qualité rédigés par des experts reconnus, il offre une excellente introduction au concept de « gouvernance internet ».

La gouvernance « de » l’internet traite des ressources partagées permettant à ce dernier de fonctionner et des organisations qui les gèrent. Milton Mueller explore ainsi les défis liés à la distribution des adresses de l’Internet Protocol (adresses IP) dans la perspective du passage à IPv6, et Rolf Weber les enjeux de légitimité et de redevabilité (accountability) des organisations concernées et particulièrement de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN). Michael Froomkin détaille par ailleurs le nouveau cadre opérationnel (Affirmation of Commitments) de cette organisation.

L’ouvrage confirme surtout que la gouvernance internet dépasse la gestion de ces ressources critiques pour couvrir les règles applicables aux usages du réseau, soit la gouvernance « sur » l’internet. Alors que trois milliards d’utilisateurs aux références culturelles, religieuses ou politiques diverses interagissent dans des espaces partagés, il est de plus en plus difficile, mais de plus en plus nécessaire, d’identifier des normes communes. Rikke Frank Jorgensen décrit ainsi les efforts pour s’assurer que les droits de l’homme s’appliquent également en ligne, et détaille la « Charte des droits et principes pour l’internet » développée par la Coalition dynamique lancée dans le cadre du Forum sur la gouvernance internet (FGI) – ou Internet Governance Forum (IGF) en anglais.

L’ouvrage aborde également la tension croissante entre la nature transfrontière des services internet et le patchwork des législations nationales. Plusieurs contributions traitent ainsi de thématiques précises : propriété intellectuelle (Jeanette Hofmann autour de Google Books), protection de la vie privée (Graham Greenleaf, Lilian Edwards) ou lutte contre la pédopornographie (T.J. McIntyre). Deux chapitres apportent une clarification bienvenue sur la neutralité du net et ses différentes dimensions, trop souvent confondues dans les débats.

Contribution majeure, ce recueil explore différents modes alternatifs de développement de règles globales en l’absence d’accord prévisible par le biais de traités : régulation via les normes techniques (Alison Powell) ou utilisation des règles de compétition pour assurer l’accès aux « technologies essentielles » (Abbe Brown). Dans un texte original, Gus Hossein décrit l’effet de percolation des best practices dans des législations nationales se copiant mutuellement. Cet effet, positif quand il conduit à un relèvement progressif des standards, peut générer une convergence vers des pratiques contestables si elles sont légitimées par des acteurs reconnus.

Surtout, plusieurs contributions (Lee Bygrave, Andrea Matwyshyn) explorent un sujet trop peu traité : le rôle croissant du contrat dans l’établissement de normes internationalement applicables. Les conditions générales d’utilisation (terms of service) représentent en effet une véritable « loi » des territoires numériques que constituent des plateformes aux centaines de millions d’utilisateurs.

On aurait sans doute préféré que la structure de l’ouvrage reflète plus clairement les thèmes décrits ci-dessus, et qu’il traite plus directement des questions de liberté d’expression. Mais ce travail de haute qualité doit être chaudement recommandé à tous ceux qui s’intéressent à la gouvernance de notre monde globalisé, dont la gouvernance internet constitue un laboratoire pionnier.

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