Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2014). Yves Gounin propose une analyse croisée de : Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide: L’idéologie hamitique (Belin, 2013, 384 pages) ; Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France ». Guerres secrètes au Rwanda (La Découverte, 2014, 310 pages) ; et Jean Hatzfeld, Englebert des collines (Gallimard, 2014, 112 pages).

AuNomdelaFranceTrois ouvrages qui traitent du Rwanda, selon trois angles d’approche très différents et pourtant complémentaires.

Le livre de Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda est le plus austère. Il traite moins du génocide proprement dit – que les précédents écrits de ces deux auteurs ont déjà largement documenté – que de l’idéologie qui y a conduit. L’idéologie hamitique postule l’existence de deux races noires : d’un côté les « nègres » descendants de Cham, dont les Hutus font partie ; de l’autre des sémito-hamites, « faux nègres » qui, venus du Moyen-Orient, auraient migré au cœur de l’Afrique tout en y gardant des traits distinctifs, et auxquels appartiennent les Tutsis. Cette idéologie hamitique a eu la vie dure puisque, forgée à l’époque coloniale, elle a été reprise à l’indépendance par les Rwandais. Chrétien et Kabanda dénoncent la persistance dans le temps de cette grille de lecture racialiste.

L’enquête des deux journalistes David Collombat et David Servenay pointe du doigt la responsabilité de la France dans le génocide rwandais. Il est reproché à l’État français d’avoir, avant le génocide, soutenu le gouvernement Habyarimana. Prisonnier d’un « syndrome de Fachoda », qui le conduisit à tout mettre en œuvre pour combattre le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, Paris n’a pas su ou pas voulu anticiper la dérive raciste des ultras du Hutu power. Il lui est reproché, après le génocide, d’être intervenu à contretemps, l’opération Turquoise ayant eu pour effet non pas tant de stopper le génocide que d’offrir à ses auteurs une voie d’extraction vers le Zaïre voisin. La charge est connue. Elle ne contient pas de nouvelle révélation, et elle a souvent les défauts du procès à charge, mené sans nuance à coup de formules journalistiques, plus percutantes que pertinentes.

Englebert des collines est une œuvre mineure de Jean Hatzfeld. Ce grand reporter est l’auteur des Récits des marais rwandais, une trilogie d’ouvrages (réunie au Seuil en 2014) constituée de témoignages recueillis tant auprès des survivants que des auteurs du génocide. Une thèse de doctorat lui a été consacrée[1], qui souligne le succès public de ces trois ouvrages et l’originalité de leur forme, à mi-chemin du documentaire et de la littérature. Ce quatrième livre, qui se présente comme un « récit », reprend la formule des précédents. Il a pour principal protagoniste Englebert Munyanbonwa, Tutsi rescapé du génocide dont l’éthylisme philosophe n’est pas sans rappeler les narrateurs de Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry (1947) ou de La Chute d’Albert Camus (1956).

La publication de ces ouvrages coïncide peu ou prou avec la célébration du 20e anniversaire du génocide. Leur lecture croisée en donne une image kaléidoscopique. Les plaies sont loin d’être refermées. Nombreux sont les Englebert qui ont survécu physiquement au génocide mais en portent les inguérissables stigmates psychologiques. Le débat sur la responsabilité de la France n’est toujours pas clos, malgré le rétablissement des relations diplomatiques en 2009. Le plus grave est sans doute ce que pointe le livre subtil de Chrétien et Kabanda : la persistance, 20 ans après, de schémas raciaux simplificateurs, au prisme desquels, par paresse intellectuelle voire par mystification – comme dans les ouvrages polémiques de Pierre Péan que les auteurs attaquent violemment –, le drame rwandais est résumé.


[1]. A. Alvès, La Fabrique du témoignage : la trilogie rwandaise du journaliste-écrivain Jean Hatzfeld, Université de Lorraine, 2012.

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