Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2015). Marc Hecker propose une analyse croisée de deux ouvrages : celui de François Vignolle et Azzeddine Ahmed-Chaouch, La France du Djihad (Paris, Éditions du Moment, 2014, 208 pages) et celui de Dounia Bouzar, Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer  (Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2014, 176 pages).

france du djihadDepuis 2012 et la prise de contrôle par les rebelles de plusieurs postes-frontières, l’afflux de combattants étrangers n’a cessé d’augmenter en Syrie. À la fin 2014, près de 15 000 personnes ont ainsi rejoint les rangs de l’opposition à Bachar Al-Assad, dont environ 3 000 Occidentaux. Parmi ces derniers, les Français sont les plus nombreux. D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur en novembre 2014, plus de 1 000 ressortissants français étaient alors impliqués dans les filières syriennes.

Les deux ouvrages présentés ici apportent des éclairages complémentaires sur ce phénomène inquiétant. Le premier est l’œuvre de deux journalistes d’investigation, François Vignolle et Azzedine Ahmed-Chaouch. Il met l’accent sur la dimension sécuritaire du djihad syrien : on nous y présente les « nouveaux Merah » et autres « petits soldats d’Allah » qui, radicalisés très rapidement par le biais des réseaux sociaux, ont quitté précipitamment la France pour combattre aux côtés de l’État islamique. Certains d’entre eux rêvent de revenir en Europe pour y commettre des attentats.

La diversité des profils de ces « djihadistes made in France » est frappante. La proportion de convertis est élevée, probablement supérieure à 20 %. Celle des femmes avoisine également les 20 %. La part des individus connus des services de police avant leur départ est significative, mais ils ne sont pas majoritaires : parmi les Français qui sont morts en Syrie, les deux tiers avaient un casier judiciaire vierge. Et parmi ces derniers, certains avaient fait de bonnes études. La dernière phrase de l’ouvrage – citation d’un avocat – résume la teneur générale du livre : « Lorsqu’on commence à avoir peur de ses enfants, on peut craindre pour l’avenir de son pays. »

bouzar_paradisenferL’ouvrage de Dounia Bouzar est très différent : il se focalise sur des parents qui n’avaient pas peur de leurs enfants, ont été confrontés à un processus d’endoctrinement brutal, et déploient des efforts incommensurables pour les ramener à la raison (et à la maison). Beaucoup de ces enfants sont des adolescentes qui, dans une période de faiblesse consécutive à un deuil, ont été séduites par la rhétorique des djihadistes. À force de conversations sur Facebook, elles ont décidé de partir en Syrie où certaines d’entre elles ont épousé des combattants.

Le désarroi et l’abnégation des parents sont émouvants. Des termes très forts sont employés : « mères orphelines », « kidnapping moral », « anesthésie affective », etc. Pour l’auteur, le processus qui a conduit les enfants à se séparer de leurs parents s’apparente à une emprise sectaire. En l’occurrence, le principal gourou serait le chef de la branche francophone de Jabhat Al-Nosra. Pour désendoctriner ces adolescentes, il faudrait se situer non dans le registre de la rationalité ou dans celui de la théologie, mais dans celui des émotions.

On comprend à la lecture de ces deux ouvrages la complexité de la situation pour les autorités françaises. Les adolescentes décrites par Bouzar ressemblent plus à des victimes qu’à de dangereux terroristes. D’autres individus ayant rejoint le djihad syrien sont, en revanche, une menace réelle pour l’Europe, comme l’illustre le cas de Mehdi Nemmouche. En l’absence de méthode scientifique séparant le bon grain de l’ivraie, il appartient aux juges de trancher, au cas par cas.

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