Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Leila Seurat propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Michel Younes, Le fondamentalisme islamique. Décryptage d’une logique  (Karthala, 2016, 224  pages).

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Ce livre réunit théologiens (Chaieb), philosophes (Souchard), politistes (Amghar) et hommes de religion (Dockwiller). C’est là l’une des grandes originalités de cet ouvrage : en associant des intellectuels de formations bien distinctes, il permet de confronter des pistes de réflexion souvent présentées comme contradictoires. Alors que le texte coranique est de plus en plus appréhendé comme facteur de violence en soi et pour soi, réinscrire le fondamentalisme islamique parmi les autres fondamentalismes est une entreprise salutaire. Sans négliger les singularités que pourrait recouvrir l’acception d’un Coran incréé, nombreuses sont les contributions mettant en exergue les similitudes entre les fondamentalismes, notamment la référence absolue à un Livre qui leur est commune.

Le fondamentalisme précède-t-il la modernité ou est-il une réaction religieuse à celle-ci ? La majeure partie des contributions de l’ouvrage contribue à ce débat. Le fondamentalisme islamique trouve son origine dans le hanbalisme, école juridique du ixe siècle qui inaugure un rapport immédiat au texte. Il prend également racine dans la pensée d’Ibn Taymiyya au xiiie siècle, ainsi que dans le cheminement intellectuel des réformistes du xixe siècle. Toutefois, s’il n’a pas attendu la modernité pour exister, force est de constater que le fondamentalisme est aussi l’expression d’une réaction à la modernité. Pour résoudre ce paradoxe, d’autres pistes sont suivies : plutôt que comme la conséquence d’un désenchantement du monde inauguré par l’époque moderne, le fondamentalisme apparaît comme une réaction au vide de sens que caractérise notre époque postmoderne.

Consacrée aux indicateurs du fondamentalisme, la seconde partie de l’ouvrage reste fidèle à sa démarche initiale : sortir des catégories arbitraires entre Frères musulmans et salafistes, en confrontant les recueils de hadith issus de ces différentes mouvances, tout en soulignant leur diversité dans la manière d’appréhender les textes. Les corpus hanbalites se distinguent par leur incapacité à penser une quelconque adaptabilité aux sociétés contemporaines, tandis que les corpus du Conseil européen de la Fatwa insistent sur la nécessité de légiférer dans un contexte européen où les musulmans sont minoritaires. Le Maroc, appréhendé ici comme un fondamentalisme d’État dans une société sécularisée, aurait pu facilement s’intégrer à la première partie, d’autant que Moulay Slimane, qui imposa aux Marocains de renoncer aux rituels ancestraux, était un contemporain d’Abd Al-Wahhab. Voyant dans le retour aux fondements une source de libération plutôt que d’imitation, le « fondamentalisme rationaliste » d’Al-Fassi offre une fructueuse déclinaison nationale de l’expérience fondatrice saoudienne. Si le hanbalisme a nourri le salafisme, d’autres écoles théologiques, tel le rite malékite, ont pu donner à voir des formes de fondamentalisme.

Tout en soulignant l’existence d’un socle idéologique commun à l’ensemble des acteurs islamistes, l’ouvrage ne fait pas l’impasse sur les disparités au sein même de chacune de ces familles. Si l’interprétation du djihad par les salafistes quiétistes peut servir de matrice idéologique aux partisans de la guerre sainte, la violence djihadiste ne saurait s’entendre à la seule aune de ce facteur. Cet ouvrage contribue aux débats qui opposent de manière trop souvent caricaturale les politistes : entre ceux qui voient dans le djihadisme le symptôme d’une radicalité étrangère à l’islam, et ceux pour qui le djihadisme ne serait qu’un avatar du salafisme.

Leila Seurat

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