Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Corinne Balleix propose une analyse de l’ouvrage de Sarah Lamort, Europe, terre d’asile ? Défis de la protection des réfugiés au sein de l’Union européenne (PUF, 2016, 216 pages).

Europe, terre d'asile _

Dans un contexte où, depuis 2014, le système d’asile européen commun est ébranlé par une crise migratoire grave, le livre de Sarah Lamort arrive à point nommé. L’auteur, qui a également travaillé plusieurs années pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Turquie, prend ses distances vis-à-vis des discours militants accusant la politique d’asile européenne d’affaiblir le droit d’asile, et explore les relations complexes entre gestion des flux migratoires et promotion des droits de l’homme au travers de la politique d’asile européenne. Soulignant que l’Union européenne constitue au niveau mondial l’espace de protection le plus perfectionné, Sarah Lamort estime que la protection est inséparable du contrôle, l’État devant pouvoir identifier chaque personne qui sollicite sa protection.

Revenant sur la construction du régime d’asile européen commun, elle rappelle qu’il a pour objectif de répondre aux défis de la protection de l’espace Schengen et du shopping de l’asile, de l’interdépendance entre les systèmes d’asile des États membres, ainsi qu’à la question de la répartition équitable des charges de l’accueil des migrants.

S’agissant du partage des charges de l’asile, plusieurs systèmes sont envisageables, selon le nombre d’États qui y participent, et ce qu’ils partagent (normes communes, répartition des personnes, redistribution des charges financières). À cet égard, les outils européens (règlement Dublin, relocalisation, directive « Protection temporaire ») ont montré leurs limites.

Est ensuite analysé le phénomène de la sanctuarisation de l’espace commun d’asile, qui a pour objectif de partager les charges de l’accueil avec des pays tiers. Cette sanctuarisation doit toutefois respecter les principes de la convention de Genève : le non-refoulement et la non-pénalisation des entrées irrégulières. L’Union européenne répond à ce défi par les procédures d’asile à la frontière et l’intégration des questions d’asile dans l’action extérieure de l’UE – programmes de réinstallation, recherche de voies légales d’accès à l’asile dans l’UE, programmes nationaux ou régionaux de protection dans les pays tiers, ces dernières options pouvant soulever des difficultés si on les considère comme des alternatives, et non des compléments, à l’accueil des demandes d’asile spontanées en Europe.

Enfin, l’ouvrage présente le cas de l’extra-territorialisation de l’asile en Turquie, où la capacité de l’UE à influencer le système d’asile turc diminue parallèlement aux perspectives d’adhésion de ce pays à l’UE.

L’auteur conclut que le renforcement des frontières extérieures de l’Union rend l’espace européen de protection plus difficilement accessible. La relation de protection et de contrôle exercée par un État sur un individu, éventuellement hors du territoire de l’UE, au travers de systèmes d’information numériques et biométriques, fait du demandeur d’asile un objet de contrôle en réseau, mais aussi un sujet de droits en réseau, dont le statut méritait des recherches plus approfondies.

L’ouvrage, qui a reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire 2016 et celui des Droits de l’homme de la ville de Lyon 2014, se fonde sur une analyse de l’Europe de l’asile close en septembre 2013. Le cadre proposé permet cependant d’éclairer utilement la crise actuelle du régime d’asile européen, et offre des pistes de réflexion précieuses pour les chercheurs et praticiens quant à la réforme de ce régime.

Corinne Balleix

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