Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Hans Stark, Secrétaire général du Cerfa à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Lucien Calvié, La question allemande. Histoire et actualité (Éditions du Cygne, 2016, 144 pages).

La question allemande

Germaniste de formation, professeur émérite à l’université Jean Jaurès de Toulouse, Lucien Calvié livre un essai consacré à l’histoire et à l’actualité de « la question allemande » qui fait froid dans le dos. L’auteur affirme qu’il a « essayé d’examiner […] les conditions et les modalités de la marche de l’Allemagne, à partir de 1949, vers une forme renouvelée d’hégémonie européenne, débouchant sur un retour à une politique de puissance à l’échelle de la politique mondiale ». Le double leitmotiv de cet ouvrage est donc la continuité entre le IIe, puis le IIIe Reich, et l’Allemagne d’aujourd’hui d’une part, et sa quête de puissance et d’hégémonie d’autre part.

Pour défendre son propos, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère, puisqu’il estime, se répétant, qu’on « assiste désormais à la révélation progressive d’une nouvelle grande puissance allemande, agissant de façon autonome à l’échelle européenne ». Il s’insurge contre la naïveté et les erreurs françaises : on n’aurait pas compris que « le projet européen était pour l’Allemagne, après les atrocités nazies, surtout un moyen de réhabilitation et de reconstruction. Cet objectif ayant été atteint en 1990, l’Allemagne est désormais passée à l’échelon supérieur de l’hégémonie, dans l’Union européenne et de la puissance mondiale en devenir ». Or « l’Allemagne impose son inexorable contrainte à la majeure partie de l’Union européenne, et Bruxelles n’est vue que comme un relais ou prête-nom de Berlin, une manière de kommandantur bruxelloise des années 1940 dans une version plus civilisée ».

De cette réflexion, l’auteur passe à une lettre ouverte écrite par Jean-Christophe Cambadélis à la mi-juillet 2015 (à propos du traitement allemand de la Grèce) qui, selon lui, « a le mérite, sur un ton retenu, de poser la question, généralement passée sous silence, de la continuité entre l’Allemagne hitlérienne et celle de Merkel, Schäuble et même du social-démocrate Sigmar Gabriel ». Cette continuité explique aussi les inquiétudes de l’auteur, qui souligne « qu’au xxe siècle, l’Allemagne s’est plutôt distinguée par son non-respect des traités internationaux », constatation qui l’amène à évoquer « la question tout de même inquiétante – en raison des fortes capacités budgétaires du pays, le budget militaire de l’Allemagne étant aujourd’hui déjà supérieur, chose peu connue, à celui de la France – d’un possible armement nucléaire pour l’Allemagne »… Or pour l’auteur, cette question se pose d’autant plus que les Allemands, après l’unification, sont responsables de la « destruction de la Yougoslavie », de la « mise à genoux financière et politique de la Grèce », et d’un « interventionnisme agressif en Ukraine » dirigé contre « le pouvoir légal en place », « afin de régler leurs comptes avec la Russie ». Il va sans dire que l’auteur regrette beaucoup l’acceptation par les alliés de l’unification allemande, menée « au pas de charge », et concédée à Gorbatchev pour « refiler le problème allemand aux Occidentaux ». Ainsi, pour Lucien Calvié, « l’unification allemande apparaît comme un élément majeur d’une montée générale en Europe des revendications régionalistes, autonomistes, séparatistes, communautaristes, indépendantistes et nationalistes ».

Voilà. On comprend bien que si l’Europe va aussi mal, c’est la faute de l’Allemagne. Il faut donc d’urgence reconstruire la ligne Maginot. Vite, bien, mais surtout pas à l’ancienne.

Hans Stark

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