Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Rémy Hémez, chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense (LDR) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Joseph Henrotin, L’art de la guerre à l’âge des réseaux (ISTE Éditions, 2017, 224 pages).

L'art de la guerre à l'âge des réseaux

Joseph Henrotin est chargé de recherches au Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux (CAPRI) et à l’Institut de stratégie et des conflits (ISC), et rédacteur en chef du magazine Défense et Sécurité internationale (DSI). Auteur de plusieurs ouvrages remarqués – dont Techno-guérilla et guerre hybride. Le pire des deux mondes (2014) –, il nous livre dans ce dernier opus une synthèse très utile de ses nombreux travaux sur la technologie militaire et la guerre hybride, tout en les insérant dans une nouvelle perspective.

Les deux premiers chapitres sont consacrés à une analyse historique des révolutions militaires et à une épistémologie complète de la Révolution dans les affaires militaires (RMA, selon son acronyme anglais). Joseph Henrotin cherche ensuite à déterminer si la RMA constitue véritablement un changement de paradigme. Pour lui, elle a imposé une évolution des pratiques dans le domaine de la stratégie des moyens mais n’est pas totalement disruptive. La technologie a produit des effets au plan tactique, mais n’a pas eu de conséquences automatiques sur leur stratégie de mise en œuvre.

Joseph Henrotin passe ensuite en revue les impacts de la RMA sur les différents milieux. Les racines technologiques de la RMA se situent dans les espaces « fluides » (air, mer, espace), avec la mise en réseau de radars, de centres de commandement et de bases aériennes dès la fin des années 1930. La « fluidification » de l’espace aérien se poursuit ensuite avec l’entrée en service d’aéronefs de détection avancée. Mais l’auteur souligne à raison que la perception de maîtrise de l’espace qui en découle est trompeuse, car elle ne peut inclure ni les intentions, ni le moral de l’adversaire. La fluidification du « solide » (le domaine terrestre) est encore plus complexe, étant donné l’opacité de ce milieu. Là aussi, la question de la détermination des intentions de l’adversaire est problématique.

Avoir des forces « réseau-centrées » a des conséquences sur notre façon de faire la guerre. Par exemple, leur usage a tendance à renforcer l’inclination pour un commandement par le plan, plus directif. Les réseaux donnent leur pleine mesure dans le domaine des frappes de précision. Mais l’auteur souligne un paradoxe : parce qu’un armement est considéré de haute précision il est vu comme moins létal pour les populations civiles, et donc toute perte collatérale est susceptible d’être critiquée.

Notre dépendance à l’égard des réseaux est bien comprise par nos adversaires, qui en font une cible prioritaire. Ces derniers cherchent par ailleurs à « créer un nouvel équilibre entre les apports d’une technologie et les contraintes qu’elle induit », en mettant en place des modèles hybrides associant quantité et surcroît de qualité. Selon l’auteur, c’est finalement là que se situerait la véritable RMA.

Joseph Henrotin nous offre ainsi une plongée passionnante au cœur des inter­actions entre la technologie et l’art de la guerre. Avec des arguments convaincants, il nous pousse à nous interroger sur l’efficacité de notre propre modèle d’armées et sur ses possibilités de survie à court terme. Une lecture indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la guerre aujourd’hui et demain.

Rémy Hémez

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