Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage d’Angus Deaton, La grande évasion. Santé, richesse et origine des inégalités (PUF, 2016, 384 pages).

La grande évasion

Le prix Nobel d’Économie 2015 présente ce qu’il appelle la « grande évasion », c’est-à-dire la sortie de la pauvreté d’une partie de l’humanité. Bien que son point de vue soit résumé dès la première phrase de l’introduction – « la vie est aujourd’hui meilleure qu’à aucune autre époque de l’histoire » –, il s’attache à démontrer tout au long de son ouvrage que les conditions du développement économique sont plus complexes qu’il n’y paraît.

Dans le premier chapitre, l’auteur défend l’idée que la croissance économique et le progrès social vont historiquement de pair. La Chine en constitue la meilleure illustration. Cependant, le PIB par habitant n’est pas systématiquement corrélé au bien-être. Par exemple, des pays comme le Chili, le Vietnam et le Costa Rica ont une espérance de vie élevée compte tenu de leur PIB par habitant. On constate l’inverse pour la Russie et l’Afrique australe.

Les chapitres 2 à 4 rappellent comment nos sociétés sont parvenues à réduire la mortalité et allonger l’espérance de vie. À partir du XVIIIe siècle, trois facteurs fondamentaux se dégagent : les avancées de la médecine, la variolisation et la quête du bonheur. Au cours du siècle suivant, ce sont l’hygiène, le triomphe de la théorie microbienne et une meilleure alimentation qui font reculer la mort. Depuis 1900, ce sont les États aux politiques de santé publique très ambitieuses qui ont amélioré le plus nettement la qualité de vie de leurs citoyens. Les défis que doivent relever nations industrialisées et en voie de développement sont pourtant différents. Les premières s’efforcent de combattre les maladies cardiaques, les AVC et le cancer des adultes tandis que les dernières luttent encore contre la mortalité infantile.

Les chapitres 5 et 6 abordent la question des inégalités. L’utilisation du fameux « seuil de pauvreté » est jugée excessive car il est un instrument de mesure trop uniforme et subjectif. Il a pourtant le mérite de montrer que l’Afrique subsaharienne est le seul sous-continent à avoir subi un quasi-doublement de la pauvreté entre 1981 et 2008. Angus Deaton insiste en fait sur le rôle fondamental des institutions pour assurer l’essor des pays africains et sud-asiatiques.

Dans le septième et dernier chapitre, l’auteur se livre à une critique en règle des aides au développement. Manquant de transparence, destinées prioritairement aux gouvernements pro-occidentaux et finissant trop souvent dans les poches de dirigeants politiques corrompus, ces aides sont jugées contre-productives. À supposer qu’elles atteignent en partie leur objectif, elles demeurent dérisoires au regard des fluctuations des prix des matières premières, sources principales de revenus des pays les moins avancés. Angus Deaton n’hésite d’ailleurs pas à établir un lien de causalité entre les flux financiers reçus par l’Afrique et son sous-développement chronique. Que propose-t-il alors ? De consacrer les fonds en question à la recherche scientifique, à l’élimination des restrictions commerciales pratiquées par les États riches et à l’ouverture des frontières. Ces initiatives profiteraient indirectement mais essentiellement aux populations des régions à bas revenus et « court-circuiteraient » leurs gouvernants.

Norbert Gaillard

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.