Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin, Molenbeek-sur-Djihad (Grasset, 2017, 304 pages).

Molenbeek-sur-djihad

Les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, et ceux de Bruxelles, le 22 mars 2016, ont poussé Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin – journalistes à la Libre Belgique et à RTL Belgique – à enquêter sur Molenbeek. C’est dans cette commune située au cœur de la capitale belge que vivaient plusieurs terroristes, et qu’a été arrêté Salah Abdeslam après quatre mois de cavale.

Molenbeek a connu une croissance démographique importante depuis le début des années 1980, sa population passant de 67 000 à 95 000 habitants. Plus de la moitié d’entre eux est originaire du Maroc, en particulier du Rif – région connue notamment pour sa production de haschisch. Le taux de chômage de la commune dépasse les 40 % et atteint même 52 % pour les moins de 25 ans. Selon les auteurs, Molenbeek aurait été délaissée par les pouvoirs publics, et le contrôle social délégué aux imams. Les responsables politiques belges avaient une profonde méconnaissance de l’islam et ont laissé se développer les courants les plus radicaux. Salafistes et Frères musulmans se sont ainsi profondément ancrés dans le paysage local. Molenbeek, dont le territoire couvre 6 km2, compte 25 mosquées dont seules 4 sont reconnues par l’organe qui gère l’islam en Belgique.

La guerre en Syrie a eu un impact considérable sur la commune : 79 de ses habitants sont partis se battre au Moyen-Orient. La Belgique est un des pays occidentaux les plus touchés par le djihadisme : près de 550 ressortissants belges ont rejoint les rangs de Daech ou d’une autre organisation terroriste. Lamfalussy et Martin décrivent avec précision la scène djihadiste belge, structurée autour de trois pôles principaux : le réseau Zerkani – auquel appartenait notamment Abdelhamid Abaaoud –, Sharia4Belgium de Fouad Belkacem, et Le Resto du Tawhid de Jean-Louis Denis.

Ces trois pôles étaient connus des services de renseignement et de la police mais les forces de l’ordre ont été dépassées par l’ampleur du phénomène. Leurs moyens étaient largement insuffisants et n’ont cessé de décroître du fait de coupes budgétaires. La Sûreté de l’État a ainsi perdu 140 agents de 2008 à 2015, ce qui est considérable pour une agence qui en compte environ 600. Le service de renseignement de l’armée (le SGRS) a aussi subi d’importantes réductions budgétaires, tout comme la division antiterroriste de la police fédérale (DR3). Cette unité de 150 hommes – trop peu au regard de la menace – a abandonné la surveillance des frères Abdeslam au ­printemps 2015.

Les attentats de Paris et de Bruxelles ont constitué un électrochoc. Le gouvernement de Charles Michel a immédiatement annoncé de nouvelles mesures antiterroristes, comme la création d’un Conseil national de sécurité, le déploiement de militaires dans les rues ou l’autorisation de conduire des perquisitions la nuit. Des failles béantes ont été comblées. Par exemple, il a fallu attendre l’été 2016 pour qu’une loi autorise la Sûreté de l’État à intercepter les communications téléphoniques et électroniques de ressortissants belges se trouvant à l’étranger. Les effectifs de la police et des services de renseignement ont été renforcés. À Molenbeek, 50 nouveaux policiers ont été déployés et un centre de prévention de la radicalisation a été ouvert. La Belgique est sortie douloureusement de sa torpeur, pour ne pas dire de son déni. Mais les Belges n’ont pas fini de panser leurs plaies.

Marc Hecker

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