Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Emmanuel Brunet-Jailly propose une analyse de l’ouvrage de Pierre-Alexandre Beylier, Canada/États-Unis : les enjeux d’une frontière (Presses universitaires de Rennes, 2016, 368 pages).

Pierre-Alexandre Beylier a refondu sa thèse, et organisé ce texte en trois sections et dix chapitres qui se lisent bien et forment une étude fine des politiques frontalières qui rassemblent, et divisent, le Canada et les États-Unis.

La première partie du livre s’ouvre sur une histoire de la transformation du 49e parallèle en frontière fonctionnelle. Le deuxième chapitre évalue les idées fondatrices de cette frontière pacifique qui, depuis 1840, est surtout une limite administrative ; c’est la démarcation non militarisée la plus longue au monde. Au cours de la première partie du XXe siècle, dont traite dans le troisième chapitre, Beylier souligne la transformation d’une frontière fonctionnelle, comprise de manière étroite du point de vue politique. La dépression économique des années 1930 et la guerre froide (années 1960), contribuent à sa transformation en un « bloc nord-­américain » qui organise les politiques de défense sur l’ensemble du continent. Le quatrième chapitre examine les idées qui, grâce à l’Accord de libre-échange nord­américain (ALENA, 1994), soutiennent les transformations économiques de ce continent sans conflit.

La deuxième partie du livre expose la transformation fondamentale qui affecte cette région pacifique et économiquement intégrée à partir du 11 septembre 2001. Un premier chapitre sur le terrorisme et la sécurité est suivi d’une analyse précise des politiques de « frontières intelligentes », et de leurs implications pour les futures politiques sécuritaires et économiques. Le troisième chapitre résume les succès et échecs, et les implications géopolitiques de ces nouveaux accords, qui affectent négativement des idéaux sécuritaires et libre-échangistes maintenant centenaires.

Dans la troisième partie du livre, trois chapitres examinent les coûts réels des politiques de « frontiérisation ». Le premier examine les baisses des flux marchands et l’augmentation des coûts sécuritaires pour les personnes, les gouvernements, et les entreprises. La frontière est « plus épaisse », elle érode l’ALENA et même la confiance qui lie les deux nations. Cela bénéficie à certains segments spécifiques de l’économie et de la politique aux États-Unis : les vues isolationnistes et nativistes progressent. Le deuxième chapitre détaille les différences entre les constructions médiatiques et idéationnelles, et la réalité. Certaines ­perceptions deviennent des réalités : le Canada est l’hôte d’organisations ­terroristes et ses politiques sécuritaires sont laxistes. Pour Beylier, cette ­situation reflète l’ajustement malheureux des États-Unis à ce nouvel environnement où de nombreuses menaces émanent de cellules terroristes locales qui n’ont pas leurs sièges au Canada. Ces changements de perceptions mènent à des difficultés accrues entre les États-Unis et le Canada. Le sentiment d’amitié centenaire facile et banale est un désavantage, en particulier pour les États-Unis qui en ignorent la complexité. Ces sentiments affectent les politiques frontalières, sécuritaires et économiques après plus d’un siècle de succès.

Un petit regret, néanmoins : qu’un ouvrage de cette qualité n’ait pas référencé plus de littérature canadienne sur ces sujets ; mais il s’agit d’un livre important pour les spécialistes et leurs étudiants francophones.

Emmanuel Brunet-Jailly

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