Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Philippe Moreau Defarges propose une analyse de l’ouvrage de Oona A. Hathaway et Scott J. Shapiro, The Internationalists: How A Radical Plan to Outlaw War Remade the World (Simon & Schuster, 2017, 608 pages).

Le 27 août 1928 est signé à Paris, au Quai d’Orsay, le pacte Briand-Kellogg (renommé aux États-Unis le pacte Kellogg-Briand) de renonciation à la guerre, par les 15 États pesant alors sur la scène internationale. Ce pacte tient en deux articles : 1) les États parties condamnent le recours à la guerre comme instrument de politique nationale ; 2) tout litige entre ces États sera réglé exclusivement par des voies pacifiques. Ce document reste dans les mémoires comme l’un des plus beaux ratages d’un utopisme naïf : 11 ans après la signature du traité, les États parties se livrent la plus sanglante des guerres. The Internationalists est un livre stimulant mais finalement prisonnier de la thèse qu’il veut à tout prix démontrer, à savoir que ce pacte serait le texte décisif transformant irréversiblement la problématique de la guerre et de la paix. Pour les deux auteurs, professeurs de droit et de philosophie à Yale, il y a un avant et un après le pacte.

Avant, la guerre est le mode « naturel » de règlement des conflits, les vainqueurs obtenant ce qu’ils demandent – d’abord les territoires revendiqués –, les États-tiers restant parfaitement neutres et reconnaissant les transferts de territoires. Après, toute conquête viole le droit et cesse d’être reconnue. Le chapitre 13, « The End of Conquest », mobilise tout un appareil statistique montrant l’effondrement des conquêtes, en fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une rupture intervient incontestablement lors des deux guerres mondiales, et dans leurs lendemains. La conquête territoriale par les armes est délégitimée, comme le souligne, en 1990-1991, l’échec lamentable de tentative de conquête du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. Le pacte de 1928, qui condamne la guerre mais est muet sur les conquêtes en tant que telles, peut-il être considéré comme une rupture historique ? Les deux auteurs n’ignorent pas, mais sous-estiment presque systématiquement, tant l’histoire générale (ainsi le démantèlement des conquêtes européennes par la décolonisation) que la formidable avancée, après 1945, de l’institutionnalisation du système international, l’Organisation des Nations unies (ONU) ne constituant que la partie émergée de l’iceberg. Les auteurs tiennent à couler dans leur raisonnement la cause peut-être essentielle de la fin des conquêtes (avec, tout de même, des exceptions non négligeables mais non reconnues par la communauté internationale : annexion de Jérusalem et du Golan par Israël, annexion de la Crimée par la Russie). Aujourd’hui, toute conquête ou plutôt toute occupation territoriale s’avère bien trop coûteuse : impossibilité d’isoler hermétiquement de l’extérieur le territoire conquis, résistances multiformes de la population, désapprobation des autres États. Israël fait l’amère expérience d’une occupation d’un demi-siècle en Cisjordanie, qu’il ne peut ni annexer (l’annexion ferait des habitants palestiniens des citoyens israéliens), ni abandonner par souci de profondeur stratégique…

The Internationalists, même si les auteurs veulent sans doute trop prouver, mérite d’être lu pour ses passages donnant vie aux grands juristes protagonistes du débat : Hans Kelsen, Carl Schmitt. Mais il est dommage que l’immense Aristide Briand, qui a vécu comme président du Conseil les horreurs de la Grande Guerre, soit ici traité comme un simple exécutant d’idées américaines.

Philippe Moreau Defarges

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