Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Sophie Lefeez propose une analyse de l’ouvrage de Fanny Coulomb, Industries de la défense dans le monde (Presses universitaires de Grenoble, 2017, 120 pages).

Affectée par la crise, la mondialisation et les phénomènes de concentration et de diversification, l’industrie de défense mondiale a subi de profondes transformations depuis les années 1990. Fanny Coulomb, maîtresse de conférences en économie, nous en dresse ici un tableau actualisé.

L’auteur adopte tour à tour trois perspectives : elle commence par une dimension historique, puis livre une analyse économique du marché, licite et illicite, des armements, pour conclure en situant l’industrie de défense européenne à la croisée des chemins, entre coopération et compétition.

Le premier chapitre du livre rappelle l’ouverture à la concurrence de l’industrie de défense à la fin des années 1980, et les restructurations qui suivirent la fin de la guerre froide. Dans l’Union européenne, les premières filiales communes naissent, elles aussi, dans les années 1980. Pour autant, acquisitions et prises de contrôle hors des frontières restent rares dans les décennies suivantes, hors aéronautique et électronique de défense.

Le deuxième chapitre liste les spécificités du marché de l’armement, notamment la relation étroite entre les industriels et les États, et l’existence de compensations industrielles. Fanny Coulomb poursuit son analyse économique en exposant quelques débats prégnants dans la litté­rature économique : par exemple sur la question de savoir si les dépenses en R&D militaire contribuent à la croissance. À cet égard, l’auteur se contente de présenter les différentes théories en présence, sans prendre parti. Ce souci d’impartialité a pour contrepartie de laisser le lecteur seul face à des théories contradictoires, et de lui présenter parfois des théories pourtant infirmées par des résultats empiriques.

Dans le dernier chapitre, Fanny Coulomb s’intéresse au positionnement stratégique de l’industrie de défense européenne. Confrontées à une oligopolisation croissante et à des budgets de défense en baisse – à l’exception du budget des États-Unis, qui ne financent que des achats nationaux –, les entreprises de défense se tournent plus vigoureusement vers l’exportation. Sur ce terrain, l’industrie de défense européenne affronte la concurrence américaine, alors que les groupes américains « bénéficient de budgets d’équipement et de recherche colossaux au niveau du département à la Défense », en plus d’un important marché intérieur. Décloisonner les marchés nationaux, et coopérer à l’échelle européenne : deux nécessités, ne serait-ce que pour partager les coûts croissants de R&D, et bénéficier d’économies d’échelle en matière de production.

Suivant cette piste, l’auteur retrace les principales étapes de la mise en place d’une industrie de défense européenne, et dresse un bilan contrasté des expériences de coopération industrielle. Pour elle, ce sont les « initiatives privées [qui] sont le véritable moteur de l’intégration de l’industrie européenne de la défense et de son développement ».

Fanny Coulomb propose de manière pédagogique un état des lieux actualisé de l’industrie de défense mondiale, incluant l’industrie chinoise, russe et de pays émergents. On peut cependant regretter que le focus économique du livre néglige certaines conséquences politiques. Parmi de multiples exemples : supprimer des capacités industrielles redondantes au niveau européen fera inévitablement des perdants, et laisse ouverte la question de savoir qui acceptera de renoncer à ses compétences.

Sophie Lefeez

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