Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Clément Steuer propose une analyse de l’ouvrage de Steven A. Cook , False Dawn: Protest, Democracy, and Violence in the New Middle East (Oxford University Press, 2017, 360 pages).

Ce livre tente d’expliquer comment l’espoir des printemps arabes a laissé si rapidement place à une régression violente et autoritaire au Moyen-Orient. L’auteur étudie principalement quatre pays de la région : la Tunisie, l’Égypte, la Libye et la Turquie. Selon lui, trois facteurs sont à prendre en considération pour comprendre cet échec : le caractère en dernière analyse non révolutionnaire des soulèvements, la capacité des dirigeants à manipuler à leur avantage les institutions, et l’importance des questions identitaires.

Travaillant au Council on Foreign Relations, l’auteur entend jouer un rôle de prescripteur auprès de l’administration américaine. Dès le premier chapitre, il illustre la manière dont cette dernière a été prise de court par les événements, et rappelle l’engagement de l’administration Bush en faveur de la démocratie dans la région au cours de la précédente décennie, même s’il conteste le discours des néo-conservateurs prétendant que le désir de démocratie serait né de l’invasion de l’Irak. Le cinquième chapitre, qui précède immédiatement la conclusion de l’ouvrage, est d’ailleurs entièrement consacré à l’impuissance des États-Unis au Moyen-Orient, et plaide pour une plus grande fermeté de Washington sur les principes, ce qui, à défaut d’influer sur le déroulement des événements, pourrait au moins éviter d’alimenter l’anti-­américanisme de tous les camps en présence, encouragé par l’illisibilité de la politique de Washington.

Le cœur de l’ouvrage est, lui, consacré à l’évolution politique interne des quatre pays, avec une solide discussion de la littérature scientifique sur les notions de révolution et de démocratisation. Dans le premier chapitre, l’auteur rappelle les espoirs de la période 2011-2013, au cours de laquelle la Turquie faisait figure pour le monde arabe de modèle précurseur d’une intégration des islamistes au jeu politique, par la grâce des procédures démocratiques. Dans le deuxième chapitre, l’auteur se penche sur le contexte économique et social des soulèvements : une croissance économique soutenue et des différences de revenus somme toute modestes, mais un taux de chômage élevé, notamment chez les plus jeunes. Les revendications économiques, confuses, auraient été liées aux aspirations à la démocratie par le biais de la notion de dignité (Karâma). Le troisième chapitre décrit la transmutation des espoirs en angoisses dans les quatre pays, cherchant à identifier dans chaque cas le point de bascule.

Enfin, le quatrième chapitre revient sur les trois facteurs définis en introduction. Chacun d’eux mériterait une discussion : le premier a tout d’un argument circulaire (l’absence de transformations politiques s’expliquerait par le fait que les soulèvements n’étaient pas révolutionnaires, puisqu’ils n’ont pas apporté de transformations), et les deux autres ne sont pas spécifiques au Moyen-Orient, et n’expliquent donc pas pourquoi la démocratisation a échoué ici quand elle a réussi ailleurs. De ce fait, l’on n’est pas forcé de partager le pessimisme de l’auteur quant à l’avenir de la région, promise selon lui à de longues années de violence et d’autoritarisme.

Ces réserves mises à part, le constat selon lequel les printemps arabes auraient échoué en même temps que leur modèle turc s’abîmait est pertinent, et constitue sans conteste une grille de lecture intéressante de la dynamique des dernières années.

Clément Steuer

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