Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Laurent Marchand, journaliste chez Ouest France, propose une analyse de l’ouvrage de Jérémy Dousson, Un populisme à l’italienne ? Comprendre le Mouvement 5 étoiles (Les Petits Matins, 2018, 208 pages).

C’est le grand vainqueur des élections du 4 mars 2018. Un Italien sur trois a voté pour le logo aux cinq étoiles. Et pourtant, ce mouvement, né en 2009, est largement méconnu hors d’Italie.

Avec quelques rappels utiles aux non-initiés des arcanes de la politique italienne, Jérémy Dousson revient sur la genèse de ce mouvement qui avait déjà conquis huit millions d’électeurs en 2013, avec son cri primordial de 2007, le « Vaffanculo Day », ses parentés initiales avec la gauche, sa radicalité antisystème, son agenda « progressiste sur le plan social » et « hétérodoxe sur le plan économique ».

Mais aussi son fonctionnement en réseau et son « élasticité » qui lui permet de séduire aussi bien la gauche radicalement écologique que l’artisan en colère contre la paralysie d’un État perçu comme prédateur. Et également sa versatilité sur les questions européennes.

À juste titre, Jérémy Dousson s’attarde sur le padre padrone du Mouvement 5 étoiles (M5E), Beppe Grillo, le tonitruant comique génois, sorte de Coluche qui aurait métabolisé Jeremy Rifkin. Dès la fin des années 1990, les textes de ses spectacles, peu connus à l’étranger, montrent une aptitude brillante à dénoncer les impostures de la dérive ultra-libérale. Efficacement comiques, ces textes en disent long sur la trajectoire idéologique d’une colère qui se cherche déjà, et que le M5E va capter.

Pour étayer son propos, l’ouvrage fournit des données économiques et sociales qui montrent combien l’Italie a pâti de la crise et rendu le rejet du « système » encore plus pressant. À cet égard, on aurait apprécié de voir cité l’ouvrage de deux journalistes du Corriere della Sera, Sergio Rizzo et Gian Antonio Stella, La Casta, paru en 2007 également, dont l’impact sur le climat anti-élite a été considérable.

Une analyse plus fine des profils sociologiques des élus du M5E (venus souvent de nulle part, au début) et une plus grande précision sur la part d’ombre de « l’autre » fondateur Gianroberto Casaleggio auraient aussi été utiles. Car Grillo est à bien des égards le masque d’une comédie qui s’est aussi écrite en laboratoire. L’informaticien Casaleggio était fasciné dans les années 2000 par l’ingénierie sociale et la fabrique pilotée du consensus sur les réseaux intranet des entreprises. Le montage juridique du mouvement et la docilité des élus n’y sont pas étrangers.

Jérémy Dousson montre bien la place centrale du ressort « anti-caste » dans l’affirmation du M5E. Les élites italiennes, il est vrai, ont laissé si peu de perspectives aux jeunes générations que Grillo a beau jeu de dire qu’il a empêché une dérive fasciste. Mais l’a-t-il vraiment endiguée ? L’affirmation de la Ligue de Matteo Salvini, avec qui le M5E a désormais pris langue, permet d’en douter. À cet égard, les pages sur le populisme et le fascisme (dont on se serait épargné les références à Wikipédia), si elles manquent d’épaisseur conceptuelle, n’en posent pas moins une série de questions essentielles sur les impasses (pas seulement italiennes) de nos démocraties représentatives, et la crise de la social-démocratie.

Parce qu’il a été fluide dans son ascension vers les sommets électoraux, le M5E a capitalisé sur tous les tableaux. Depuis le 4 mars toutefois, l’OVNI vient d’entrer dans l’atmosphère de la responsabilité politique. Le livre de Jérémy Dousson aide à comprendre la galaxie dont il est issu.

Laurent Marchand

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