Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez « l’archive de la semaine ».

* * *

L’article « Le veto dans l’Organisation des Nations unies » a été écrit par Jules Basdevant, professeur de droit international public, puis juge et président de la Cour internationale de justice de La Haye de 1949 à 1954, dans le numéro 4/1946 de Politique étrangère.

Le veto, dans l’Organisation des Nations unies, c’est, en gros, le pouvoir reconnu aux États ayant siège permanent au Conseil de sécurité (Chine, France, URSS, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis d’Amérique) d’empêcher par leur vote contraire, ou même par leur abstention, que le Conseil de sécurité prenne une décision ; c’est même ce pouvoir d’empêcher ainsi que ne soient prises les décisions les plus importantes de l’ONU, ce pouvoir ne s’étendant pas, d’ailleurs, à l’adoption de recommandations par l’Assemblée générale des Nations unies. Ainsi l’unanimité des cinq Grands est requise pour les décisions du Conseil de sécurité, sauf pour les décisions de procédure : or le Conseil de sécurité est l’organe politique principal de l’Organisation, spécialement pour ce qui concerne la poursuite du but premier et essentiel de celle-ci : le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cela suffit à faire apparaître l’importance du veto.

Le terme veto a acquis un sens péjoratif dans la tradition politique française. Nous gardons le souvenir du veto royal dans la Constitution de 1791, et, sous ce terme, apparaît une institution discréditée, alors qu’elle se présente avec une certaine noblesse quand on y voit la sanction donnée par le roi à la loi. Notre tradition n’est cependant pas suivie ailleurs, et le veto du président a été souvent accueilli avec une grande faveur aux États-Unis d’Amérique. Tenons-nous donc en garde contre les préventions verbales que l’emploi du terme veto pourrait susciter en France : il ne faut pas les transporter dans le domaine de la Charte des Nations Unies. Précaution de méthode facile à prendre.

En même temps — et ceci touche au fond, — il faut, dans l’étude du veto dans l’Organisation des Nations unies, se mettre en garde contre la tendance à transporter sans discrimination à l’ordre international ce qui est acquis dans l’ordre interne, à raisonner pour l’Organisation des Nations unies à l’imitation de ce que nous constatons dans une organisation nationale. La situation, ici et là, est profondément différente. Dans l’ordre interne, en effet, le gouvernement dispose lui-même d’agents d’exécution qui dépendent de lui, reçoivent ses ordres et ont à y donner suite. Au contraire, dans le système de la Charte, l’Organisation des Nations unies attend l’exécution des décisions prises ou recommandations énoncées par le Conseil de sécurité de ce que feront les gouvernements, de ce que ceux-ci ordonneront à leurs agents. En dehors de ce qui constitue des opérations de secrétariat : rédiger des papiers, les reproduire et les distribuer, le Conseil de sécurité n’a pas d’organes propres d’exécution : quand il s’agit d’arriver à une action extérieure, le Conseil de sécurité ne peut que s’adresser aux gouvernements, leur demander de faire ceci ou cela. C’est là une différence capitale entre l’ordre interne organisé en régime d’État et l’ordre international consacré par la Charte de San Francisco. Toute l’importance de cette différence apparaît si l’on observe que, pour maintenir la paix et la sécurité internationales, fin essentielle de l’Organisation des Nations unies, il faut, aux moments les plus graves, aboutir à une action et non pas seulement à des résolutions sans suite, qui n’auraient qu’une valeur intellectuelle ou ne constitueraient que des condamnations morales.

C’est de quoi on ne s’est pas toujours rendu compte dans le passé. Au cours d’une des dernières phases de l’examen par la SDN du conflit sino-japonais, un ministre des Affaires étrangères, homme très laborieux et très soucieux de son devoir, énonçait son désir d’arriver à une condamnation morale. C’était oublier que le Conseil de la SDN avait une mission politique à remplir et qu’admettre une condamnation morale c’était étendre un voile pour dissimuler la défaillance dans l’accomplissement de cette mission politique. Le Conseil de sécurité a, lui aussi, été investi d’une mission politique : s’il entend l’accomplir, il doit se persuader que son rôle n’est pas simplement ni principalement de porter des condamnations morales.

Ces précautions intellectuelles une fois prises, le veto peut être utilement considéré.

Le veto trouve sa place dans l’élaboration des décisions majeures que le Conseil de sécurité est appelé à prendre.

Or le Conseil de sécurité, aux termes de l’article 14 de la Charte, a « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales », et, d’autre part, les membres de l’Organisation sont convenus « d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité » (art. 25). Ces deux règles suffisent à faire apparaître l’importance que va jouer, dans le mécanisme créé par la Charte, l’institution du veto.

En dehors de ce qui concerne le rôle du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, le veto trouve sa place en d’autres points, par exemple à propos de l’entrée en vigueur de la Charte elle-même et pour celui des amendements qui lui seraient apportés.

Le veto a donné lieu à d’ardents débats, et il continue à faire l’objet des plus vives contestations. S’il figure en bonne place dans la Charte, il a rencontré plus d’adversaires convaincus que de partisans déclarés. Les débats au sujet du veto ont porté surtout sur son application aux résolutions du Conseil de sécurité : on comprend aisément qu’il en ait été ainsi, et c’est principalement sous cet aspect que j’entends l’examiner.

Je me propose de rechercher et d’exposer comment le veto, dans cette application, a été introduit dans la Charte, puis de préciser la place qu’il y occupe. Je serai par là amené à déterminer le rapport qu’il y a entre le veto et le mécanisme général de la Charte et à apprécier, en conséquence, s’il apparaît comme une pièce ajustée au mécanisme de la Charte, ou, au contraire, un élément de trouble pour le fonctionnement de ce mécanisme.

II n’est pas superflu de rappeler que, dans la SDN, le principe pour les décisions soit de l’Assemblée, soit du Conseil, était l’unanimité. Un État quelconque, grand ou petit, pouvait ainsi empêcher le vote d’une résolution : il y en eut des exemples et surtout maintes résolutions projetées furent modifiées, ajustées, amenuisées jusqu’à parfois être vidées de substance pour arriver au vote unanime. La pratique avait un peu assoupli la règle de l’unanimité en ce que l’on avait admis que l’abstention n’empêchait pas la formation de l’unanimité. L’abstention exigeait une certaine bonne volonté de l’État qui, en la pratiquant, limitait son opposition à une résolution qu’il ne voulait pas voter : il ne la votait pas, mais, en s ‘abstenant, laissait les autres, s’ils étaient d’accord, en faire une résolution de l’Assemblée ou du Conseil. Ainsi le Portugal, en s’abstenant de voter au Conseil sur l’attribution d’un siège permanent à l’URSS, avait permis cet octroi et, par suite, l’entrée de l’URSS dans la SDN, tout en se prononçant contre cette entrée à l’Assemblée, où l’admission pouvait être décidée par la majorité des deux tiers : en n’usant pas du pouvoir qui lui appartenait de rendre inacceptable pour l’URSS l’entrée dans la SDN, que l’Union Soviétique subordonnait à l’octroi d’un siège permanent au Conseil, le Portugal avait donné un bel exemple d’esprit international.

Malgré cette atténuation et certaines exceptions expressément formulées, la règle de l’unanimité était une règle fondamentale du fonctionnement des organes politiques de la SDN. Certains ont vu en elle la cause qui fit échouer celle-ci. Je suis peu disposé à accepter cette explication. En effet, le Pacte de la SDN était, pour l’essentiel, construit non sur le pouvoir de l’Assemblée et du Conseil de décider ceci ou cela, mais sur des obligations incombant aux membres de la Société et qui devaient jouer sans que fût nécessaire une décision de l’Assemblée ou du Conseil. Les obligations de maintenir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique des membres de la Société et de réagir par une rupture économique contre une agression illicite avaient un caractère automatique : il n’était pas besoin d’une décision du Conseil ou de l’Assemblée pour en déclencher l’effet : chaque membre de la Société, devait de lui-même et en vertu de l’autorité des traités, se conformer à ces obligations, sauf, conformément à l’esprit de l’institution, à se concerter avec les autres membres de la Société sur l’exécution des dites obligations. […]

Lisez l’article en entier ici.

Découvrez en libre accès tous les numéros de Politique étrangère depuis 1936 jusqu’à 2005 sur Persée.