Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Marine de Lassalle propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Sébastien Michon, Le Parlement européen au travail. Enquêtes sociologiques (Presses universitaires de Rennes, 2018, 344 pages).

Le Parlement européen au travail propose une analyse alternative aux études centrées sur l’institution au détriment de ses acteurs, ou à celles qui, fondées sur le langage des variables ou la modélisation, conduisent à trop autonomiser l’institution, ses acteurs comme leurs pratiques, en éclairant essentiellement les plus institutionnalisés d’entre eux.

Il s’agit d’abord ici de rendre compte de l’espace des pratiques des parlementaires, des modalités de leurs investissements au Parlement européen et des choix qu’ils y opèrent, à partir de leurs propriétés et de leurs trajectoires, sociales, politiques et institutionnelles, dans la lignée de la structuration d’un « champ de l’eurocratie ».

Dans la première partie, les auteurs renouvellent – par des méthodes et des données inédites – une analyse des carrières longues d’élus, qui met en exergue l’existence d’un « noyau dur » concentrant assez de ressources spécifiques pour occuper les positions de pouvoir. L’accent est cependant mis ici sur les formes de division du travail au sein de ce noyau. Le chapitre introductif présente une cartographie de l’institution organisée par une analyse structurale, qui précise les processus de division du travail parlementaire comme les conditions sociales et politiques de l’investissement du Parlement européen. Willy Beauvallet, Julien Boelaert et Sébastien Michon l’affinent en se concentrant sur les positions qui favorisent l’exercice du pouvoir. Sur cette première scène ainsi campée, les auteurs sont invités à éclairer des groupes (Cédric Pellen et les membres de la délégation polonaise), des enjeux (Laure Neumayer et les politiques mémorielles anticommunistes), ou des processus spécifiques (les conditions sociales et politiques de la revolving door étudiées par Hélène Michel et Victor Lepaux).

La seconde partie s’attache à restituer les logiques de production et de division du travail politique, en éclairant les coulisses et en ajustant la focale sur les co-producteurs du travail parlementaire. Il s’agit d’abord de donner à voir la division du travail interne au Parlement européen entre élus et administrateurs, assistants parlementaires, agents de groupes politiques, en s’intéressant à des groupes (les équipes des europartis étudiées par Francisco Roa Bastos) ou à des processus de divisions internes (la production d’un rapport sur la troïka, analysée par Marylou Hamm). C’est ensuite la contribution au travail parlementaire d’agents extérieurs à l’institution qui mobilise les auteurs, analysant la division interne des groupes d’intérêts (Yohann Morival et les groupes patronaux) ou leur co-production du travail parlementaire (Yiorgos Vassalos et la révision MiFID 2).

L’ouvrage permet ainsi d’inscrire les pratiques parlementaires dans un contexte relationnel plus large : si l’espace relationnel propre que constitue le Parlement importe, l’analyse fait saillir les processus de division et de spécialisation du travail en son sein, et le repositionne dans un champ bureaucratique constitué par les luttes et les coopérations entre les professionnels des politiques européennes. Là, comme le souligne Didier Georgakakis, l’autorité dépend moins du capital électoral ou du rôle de représentation, que de l’expertise ou de la mandature d’autres institutions, organisations ou bureaux. C’est ce qui donne la cohérence d’ensemble à l’ouvrage et permet de voir le Parlement européen autrement.

Marine de Lassalle

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