Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Anne Solé propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Luis Buendia et Ricardo Molero-Simarro, The Political Economy of Contemporary Spain: From Miracle to Mirage (Routledge, 2018, 160 pages).

L’objectif de ce livre est d’analyser la crise actuelle en Espagne dans le cadre d’un processus plus large d’ajustement permanent des salaires, qui aurait commencé après l’approbation du traité de Maastricht et se serait renforcé depuis 2009. Avec une approche hétérodoxe historico-structurelle, l’ouvrage étudie les relations entre production, travail et finance, avant et après la crise, pour proposer certains changements de politique économique, visant à réviser complètement le processus d’ajustement des salaires et à réduire les inégalités en matière de distribution des revenus.

L’analyse commence par la description du processus d’accumulation de l’économie espagnole, caractérisé par un investissement surdimensionné dans les actifs immobiliers. Ce processus, fondé sur la construction résidentielle, a engendré diverses distorsions, telle la détérioration de la rentabilité, avec des conséquences néfastes sur les autres secteurs. Les limitations du secteur productif ont conditionné l’insertion de l’Espagne dans l’économie mondiale. On a dès lors constaté un déficit structurel, causé par la faiblesse des secteurs dédiés à l’exportation et une spécialisation dans la production de biens à faible valeur ajoutée.

L’évolution du système financier a été conditionnée par ce modèle d’accumulation et d’insertion. Les vulnérabilités de l’économie espagnole ont conduit à une dépendance croissante à l’égard des financements extérieurs, et augmenté les risques de défaut de paiement. L’adhésion à l’Union économique et monétaire n’a fait qu’aggraver cette situation. En outre, la mauvaise gestion de la crise bancaire – réglant prioritairement les problèmes de liquidité, et non de solvabilité – a eu un impact régressif sur la distribution des revenus.

La réforme du travail instaurée après la crise n’a fait que renforcer la tendance déjà existante à la déréglementation. Le marché du travail espagnol a été caractérisé par des déséquilibres croissants, en particulier par la hausse du chômage et le taux élevé d’emplois temporaires. Le développement des secteurs à faible productivité a consolidé un marché du travail à bas salaires. Les résultats sont connus : précarisation accrue, stagnation des salaires, et détérioration des conditions de travail.

L’ajustement des salaires, qui avait débuté pendant la phase d’expansion des années 1990 et 2000, s’est intensifié pendant la récession. La précarité de l’emploi et la stagnation des salaires ont eu un impact négatif sur les salaires réels : la part des salaires dans le revenu national a, du coup, diminué. Les politiques d’austérité budgétaire appliquées après la crise ont logiquement affecté les systèmes de protection sociale et accentué la dégradation du niveau de vie des citoyens. Cette situation aboutit à une conclusion : l’Espagne vient de vivre sa « décennie perdue ».

Pour inverser cette tendance, un changement radical des politiques économiques semble nécessaire. Seraient notamment nécessaires : la création d’une banque publique, l’expansion de la construction de logements sociaux, la mise en œuvre d’une politique industrielle et de la recherche, l’abolition de la réforme constitutionnelle de 2011 qui restreint le déficit public, une réforme fiscale globale, et enfin l’abolition de la réforme du travail.

Anna Solé

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