Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Myriam Benraad propose une analyse de l’ouvrage de Bart Schuurman, Becoming a European Homegrown Jihadist: A Multilevel Analysis of Involvment in the Dutch Hofstadgroup, 2002-2005 (Amsterdam University Press, 2018, 272 pages).

L’assassinat du réalisateur Theo van Gogh le 2 novembre 2004 peut paraître lointain. Il hante pourtant la mémoire néerlandaise. Ce meurtre plane sur chaque nouvelle attaque terroriste aux Pays-Bas (comme celle de la gare d’Amsterdam d’août 2018), même déjouée par les autorités (un « attentat majeur » à Arnhem, fin septembre). Il nous rappelle combien la violence djihadiste trouve un terreau fertile en Europe, et même dans un pays certes moins touché ces dernières années mais néanmoins soumis aux mêmes menaces que ses voisins.

C’est dans ce contexte sensible, et avec une démarche principalement inductive, que Bart Schuurman retrace dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat l’histoire du groupe auquel l’assaillant d’origine marocaine Mohammed Bouyeri appartenait. Depuis les années 2000, ce groupe avait reçu des services de renseignement locaux le nom de code Hofstad, en référence à la ville de La Haye où plusieurs de ses membres vivaient, se fréquentaient et s’étaient radicalisés.

Partant de ces événements tragiques, mais aussi de ce qui a suivi avec la montée en force de l’État islamique au printemps 2014, Bart Schuurman s’interroge sur les conditions d’entrée dans le « djihadisme européen ». « Pourquoi » et « comment » : voilà les maîtres-mots d’une étude qui tranche avec certaines approches trop statiques et linéaires du terrorisme, pour en souligner la diversité d’objectifs, de moyens, de structures organisationnelles et de directions idéologiques. Avec force conviction, l’auteur procède à une démonstration empirique. Il souligne en effet le peu de validation par les faits des entreprises théoriques passées. Il rejette, par ailleurs, l’usage d’informations de seconde main, médiatiques, privilégiant le recours à des sources primaires (policières). Il rappelle enfin, dans ses conclusions, que le cas Hofstad a ses spécificités, et ne saurait être étendu à d’autres mouvances djihadistes actives en Europe.

D’un chapitre à l’autre, Bart Schuurman nous entraîne au cœur d’une chronologie obscure mais captivante pour quiconque s’intéresse au djihadisme, s’interrogeant de manière critique sur la nature même du groupe Hofstad – « local », « djihadiste », « terroriste » –, et sur les conditions de sa formation. Quelle y fut la part de l’individuel, du collectif ? L’auteur procède à un inventaire des facteurs ayant influencé cet engagement terroriste : structurels (pauvreté, situation géopolitique, inégalités sociales), cognitifs et psychologiques, affectifs. Au terme de sa démonstration, il parvient à rendre compte avec finesse de la complexité du phénomène, de la multiplicité de ses causes et du large spectre d’actions qu’il est susceptible d’inspirer et de façonner : de la simple radicalisation des esprits à l’acte violent.

Si la recherche de Bart Schuurman entend mettre en exergue certaines particularités nationales propres aux Pays-Bas, ses résultats n’entrent pas moins clairement en résonance avec d’autres configurations, française notamment. Les sciences sociales se sont ici en large part orientées vers une analyse analogue du djihadisme : multidimensionnelle, processuelle et biographique. Dans un monde où les causes politiques et les réseaux sont transnationalisés, l’optique comparatiste n’est dénuée ni d’intérêt, ni de fondements.

Myriam Benraad

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