Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère et directeur des publications de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Vincent de Gaulejac et Isabelle Seret, Mon enfant se radicalise. Des familles de djihadistes et des jeunes témoignent (Odile Jacob, 2018, 288 pages).

Vincent de Gaulejac, professeur émérite à l’université Paris-Diderot, préside le Réseau international de sociologie clinique. Dans un article paru en 2014[1], il définit cette discipline comme « l’analyse des processus sociopsychiques qui caractérisent les relations complexes et intimes entre l’être de l’homme et l’être de la société ». Voilà qui paraît abscons aux non-initiés mais qui devient plus clair à la lecture de son nouvel ouvrage.

Ce livre, co-écrit avec Isabelle Seret, décrit un projet de prévention de la radicalisation et de désengagement de la violence baptisé « Rien à faire, rien à perdre » (Rafrap). Ce projet, qui s’est déroulé en Belgique, a permis de prendre en charge des familles de djihadistes et des jeunes ayant voulu partir en Syrie. L’objectif est à la fois de faciliter la reconstruction et la réinsertion sociale des personnes suivies, et d’utiliser certains témoignages à des fins de prévention de la radicalisation, notamment en milieu scolaire.

Plusieurs mères de djihadistes expriment une détresse et une honte incommensurables. La société les perçoit comme coupables d’avoir enfanté des monstres, et comme potentiellement complices. Pourtant, elles rejettent le terrorisme et se voient, elles aussi, comme des victimes. Elles ont d’ailleurs entrepris de se rapprocher de mères de victimes d’attentats, et ont organisé une manifestation commune après les attaques de Bruxelles en 2016. Elles ont beaucoup de mal à comprendre le processus de radicalisation de leurs enfants et conçoivent souvent leur dérive comme une forme d’emprise sectaire.

Quatre chapitres sont consacrés à des jeunes pris en charge dans le cadre du projet Rafrap. Ils ont des profils différents (deux garçons et deux filles, dont une convertie), mais ont pour point commun d’avoir été séduits par le discours de Daech alors qu’ils étaient encore mineurs. Les causes de leur radicalisation sont complexes : « le djihadisme est un phénomène social total qui traverse les registres psychologiques, anthropologiques et politiques. » Pour mieux saisir cette complexité, il est recommandé de lire l’ouvrage de Vincent de Gaulejac et Isabelle Seret avec un ordinateur à portée de main. En effet, des codes sont fournis pour accéder aux vidéos dans lesquelles ces jeunes analysent leurs parcours. On y voit que chaque processus de radicalisation est unique, même si certains registres peuvent être récurrents (sensibilité aux injustices, quête de reconnaissance, etc.).

Ces jeunes – grâce à l’aide de leur famille et à l’encadrement de professionnels – semblent en voie de réinsertion. Les auteurs se gardent bien, toutefois, de tout angélisme. Ils savent que des manipulations et des revirements sont possibles. Ils savent aussi que leur méthode – basée sur l’écoute, l’empathie et la bienveillance – ne peut fonctionner avec les cas les plus durs. Ils ne s’opposent pas à l’approche répressive de la lutte contre le terrorisme et n’hésitent pas à alerter les autorités compétentes en cas de danger. Ils expliquent néanmoins que la répression ne peut suffire, car les jeunes Belges et Français attirés par le djihadisme appartiennent, qu’on le veuille ou non, à la communauté nationale. Leur retour à la vie normale – avec toutes les précautions qui s’imposent – est un enjeu de sécurité.

Marc Hecker

[1]. Vincent de Gaulejac, « Pour une sociologie ­clinique du travail », La Nouvelle revue du travail, n° 4, 2014.

> > S’abonner à Politique étrangère < <