Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de John M. Logsdon, Ronald Reagan and the Space Frontier (Palgrave Macmillan, 2018, 420 pages).

En matière de politique spatiale, John Logsdon, professeur émérite de l’université George-Washington, tout à la fois témoin, acteur et chroniqueur de l’effort spatial des États-Unis depuis plus d’un demi-siècle, fait figure d’autorité. Une idée directrice guide son œuvre, très riche, d’analyste et d’éditeur : les motivations pour aller dans l’espace sont nombreuses, mais une seule a véritablement compté dans l’histoire du programme spatial civil américain, la recherche du leadership, et en particulier la conviction que le vol habité est central pour l’image que l’Amérique a d’elle-même et entend projeter à l’extérieur. Cet ouvrage constitue une nouvelle exploration réussie de ce thème. En intégrant à l’exercice une réflexion critique sur le bilan décisionnel de l’équipe du 40e président américain, l’auteur fait également œuvre utile, alors que la réhabilitation dont Ronald Reagan est aujourd’hui l’objet demeure lacunaire au plan de la politique spatiale.

Pour John Logsdon, qui admet ne pas avoir été en mesure de réunir toutes les pièces du puzzle compte tenu de la classification toujours en vigueur, évaluer la performance de l’administration Reagan est une affaire complexe tant les tendances contradictoires sont nombreuses. Au facteur temporel – le premier mandat apparaissant très dense par rapport au second qui voit se multiplier les problèmes et doit gérer les retombées de l’explosion de la navette spatiale Challenger en 1986 –, s’ajoutent en effet le facteur personnel – le vif intérêt voire l’enthousiasme que Reagan éprouve pour les questions spatiales est tempéré par un style privilégiant la délégation de la prise de décision –, et un contexte budgétaire contraint qui donne la priorité durant toute la présidence au contrôle des dépenses publiques.

À analyser et remettre dans leur contexte les grandes décisions prises par l’administration Reagan, l’historien constate toutefois que l’influence de celle-ci, certes inégale, n’a jamais été neutre : 1/ sur la navette, erreur stratégique élevée par les prédécesseurs au rang de moyen de transport spatial unique de l’Amérique, il va ainsi jusqu’à lui donner crédit d’avoir développé une politique « réaliste » et démythifiée, limitant son recours – après Challenger – aux seules activités d’exploration ; 2/ de même, pour prématurées, manquées et idéologiques qu’elles étaient, les promesses de commercialisation de l’espace ont permis d’initier des développements qui donnent aujourd’hui leurs fruits ; 3/ quant à la décision de lancer une station spatiale, celle-ci a beau avoir été hésitante et peu soutenue au plan financier, là aussi le recul oblige à reconnaître qu’elle constitue l’héritage le plus durable ; 4/ c’est d’ailleurs à travers elle et la Station spatiale internationale qui lui a succédé que se mesure cette réussite indéniable qu’a été la promotion, par et pour les États-Unis, de la coopération internationale.

L’auteur montre que, s’il partage avec Kennedy le goût pour les discours visionnaires, Reagan s’inspire dans la pratique de Nixon, dont il épouse le pragmatisme, avec en particulier l’idée que la NASA doit être traitée comme une agence parmi les autres. Il se distingue ce faisant par la promotion d’un leadership assumé mais qui doit se faire sélectif, consistant pour l’Amérique à choisir ses combats. Sans doute est-ce dans cet effort reaganien de synthèse qu’il faut trouver la part d’héritage la plus stimulante.

Guilhem Penent

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