Auteur de l’article « Vers un retour de l’autoritarisme en Afrique ? », co-écrit avec Thierry Vircoulon et paru dans le numéro d’été de Politique étrangère (2/2019), Victor Magnani, chercheur au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, répond à 3 questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

Comment se porte la démocratie en Afrique en 2019 ?

Il y a évidemment une variété de trajectoires nationales qui limite la pertinence de toute entreprise de généralisation. Toutefois, on peut affirmer que depuis une dizaine d’années, la démocratie ne semble plus progresser sur le continent. Bon nombre d’élections restent très éloignées des standards démocratiques à l’image des celles organisées récemment en République démocratique du Congo (RDC). De plus, la démocratie ne se résume pas à l’organisation régulière d’élections, elle repose également sur la neutralité et l’indépendance des institutions (justice, police, commission électorale…), ainsi qu’à la situation du marché politique (ouverture de la compétition politique, respect des libertés publiques et des principes constitutionnels…).

En considérant la démocratie au-delà de l’approche réductive et classique des élections, force est de constater que l’autoritarisme gagne du terrain. Cela s’est traduit notamment par des coups d’État constitutionnels : de nombreux présidents ont ainsi révisé leurs Constitutions afin de se maintenir au pouvoir et conserver leur accès à des ressources matérielles et symboliques. Par ailleurs, des pays cités hier encore en exemple comme des démocraties stables – la Tanzanie, la Zambie ou encore le Bénin – connaissent une régression rapide et inattendue des libertés publiques. On a pu observer au cours des dernières années des mobilisations citoyennes d’ampleur réclamant l’ouverture du champ politique et le respect des libertés publiques mais hormis au Sénégal et au Burkina Faso, et dans l’attente du dénouement de la situation au Soudan, celles-ci n’ont pas eu d’incidences majeures. Une grande partie des pays africains reste gouvernée par des régimes « hybrides » qui combinent à des degrés divers Constitutions démocratiques, comportements autoritaires et déséquilibre des rapports de force politiques.

Quels sont les freins à la progression de la démocratie en Afrique ?

On pourrait tout d’abord citer les rentes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou de l’économie des trafics qui permettent à certains régimes autoritaires de se maintenir en place et de se protéger des pressions nationales et internationales en faveur de réformes. Ces rentes contribuent également au déséquilibre de la compétition politique car les partis au pouvoir, se confondant parfois avec l’État, disposent de moyens considérables par rapport aux partis d’opposition. La faiblesse de ces derniers peut aussi expliquer les maigres progrès démocratiques de ces dernières années. En raison d’une structuration organisationnelle ou idéologique défaillante, de l’émiettement partisan et des difficultés à créer des coalitions larges et durables, les partis d’opposition peinent à représenter une offre attractive et alternative sur le marché politique. Même si elles ont contribué à limiter les coups d’État militaires en les condamnant, l’Union africaine (UA) et les organisations sous-régionales africaines peuvent également être critiquées pour leur incapacité à faire respecter les principes de la démocratie sur le continent. Pourtant des textes ambitieux existent, à l’image de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l’UA, mais ceux-ci ne sont pas appliqués pour sanctionner des régimes coutumiers de fraudes électorales, de révisions constitutionnelles ou d’exactions sur leurs populations. Les pays occidentaux, censés promouvoir les principes de la démocratie, ont aussi leur part de responsabilité en s’accommodant fort bien de certains régimes autoritaires dès lors que leurs intérêts économiques ou sécuritaires sont en jeu.

La Chine nuit-elle à la progression de la démocratie en Afrique ?

Au début des années 1990, la vague démocratique observée en Afrique s’inscrivait dans un contexte de déliquescence de l’Union soviétique. Les puissances occidentales, en position de force, ont alors cherché à promouvoir la démocratie en Afrique en imposant des conditionnalités à l’aide au développement. Ces conditionnalités étaient d’ordre économique mais aussi politique car elles visaient une ouverture du jeu politique et un rôle accru de la « société civile ». Le contexte international a de nouveau son importance pour expliquer la tendance actuelle car les pays occidentaux – en admettant qu’ils le veuillent – ne sont plus en mesure d’imposer aujourd’hui de tels critères aux pays africains. Ces derniers profitent en effet d’un regain de la compétition internationale sur le continent. De nouvelles alliances et de nouvelles dépendances se créent avec les intérêts et les investissements considérables de pays comme la Chine, la Russie, la Turquie, l’Inde ou encore l’Arabie Saoudite. La Chine met en avant son principe de non-ingérence pour ne pas s’immiscer dans les affaires politiques internes des pays du continent. La Chine n’a donc pas d’influence directe sur la démocratie en Afrique dans le sens où elle ne promeut pas certains régimes politiques plutôt que d’autres. Toutefois, en investissant massivement dans des pays marqués par l’autoritarisme, elle peut contribuer à la pérennisation et au renforcement de régimes autoritaires. Par ailleurs, la Chine, en tant que régime autoritaire qui a réussi – le pays a vaincu la grande pauvreté et s’est imposé comme une grande puissance internationale –, peut constituer à la fois un modèle et un alibi pour des dirigeants africains peu respectueux des règles du jeu démocratique.

Interview de Victor Magnani, réalisée le 9 juillet 2019.