Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Corentin Sellin propose une analyse de l’ouvrage de Laurence Nardon, Les États-Unis de Trump en 100 questions (Tallandier, 2018, 320 pages).

Ce livre est une tentative inédite mais réussie dans le champ éditorial français pour appréhender de manière originale le nouveau président des États-Unis. S’éloignant à la fois d’une biographie trop rapide et d’un essai trop savant, Laurence Nardon cherche à replacer Trump dans les conditions historiques et politiques de son émergence. Le format est celui de questions thématiques sur les États-Unis, regroupées par grands champs d’étude (histoire, culture et société, politique étrangère), et auxquelles Trump sert de fil directeur.

On dispose donc en synthèses courtes de deux à trois pages d’une véritable généalogie de l’homme Trump et de sa doctrine politique. Sans rien négliger des apports récents de la recherche américaine et française, mentionnés en bibliographie, la lecture, pouvant être menée au gré des interrogations de l’actualité ou de façon continue, offre une vision plus nuancée qu’à l’ordinaire mais rigoureuse de Trump. Laurence Nardon montre ainsi que Trump campe à la confluence des familles idéologiques d’un Parti républicain qui a glissé vers la droite depuis la révolution conservatrice de Reagan. Trump a su fédérer ces familles (conservateurs du monde des affaires, droite chrétienne évangélique) en leur apportant sa dimension nationaliste et identitaire apte à séduire l’électorat populaire blanc. L’ouvrage souligne d’ailleurs le paradoxe de Trump, élu sur ses promesses à la classe moyenne populaire de réformes fiscales plus correctrices des inégalités, mais poursuivant en 2017 des baisses d’impôt qui profitent d’abord aux plus riches dont il fait partie. Et le souci bienvenu de l’auteur d’échapper au manichéisme sur Trump – attribué plusieurs fois, et non sans raison à l’acharnement de la presse écrite –, ne l’empêche pas de démonter les présupposés racistes du discours présidentiel sur la société américaine.

La forme interrogative choisie pour le livre permet aussi de faire une prospective utile sur les principales questions posées par la présidence Trump pour les décennies à venir : la survie du Parti républicain après sa présidence, le basculement à droite de la Cour suprême sur le long terme, la concurrence de la puissance chinoise pour l’hégémonie mondiale des États-Unis, etc. Et Laurence Nardon rappelle bien que la réélection de Donald Trump, souvent présentée parmi les élites européennes comme irréaliste, est au contraire probable historiquement. On apprécie aussi la prudence, justifiée par l’histoire, sur l’hypothèse d’impeachment de Trump, et sur les conclusions de l’enquête Mueller sur la collusion avec la Russie.

Les critiques à adresser à cet ouvrage sont minimes, au regard du pari réussi : offrir un panorama accessible sur les États-Unis contemporains. En politique étrangère, la dimension nationaliste et isolationniste de Trump est trop minimisée au profit de l’influence du nouveau conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Celui-ci n’a pu s’opposer ni au retrait de Syrie, même partiel, ou à celui déjà amorcé en Afghanistan, ni à la réaffirmation stricte de la doctrine America First, qui a été saluée par les libertariens, tel le sénateur Rand Paul, dont la proximité avec Trump est également minorée. Par ailleurs, l’usage du mot « populiste » pour décrire la doctrine de Trump aurait peut-être mérité une entrée à lui seul, dans un pays, les États-Unis, où il a un sens historique précis renvoyant à la révolte des paysans des Plaines dans les années 1880-1890.

Corentin Sellin

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