La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article, « Sahel : soubassements d’un désastre », écrit par Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri. Il vient de paraître dans notre nouveau numéro de Politique étrangère (n° 3/2019), « Indo-Pacifique : un concept flottant ? ».

Au premier semestre 2019, l’exécutif français demandait au Quai d’Orsay, au ministère des Armées et à l’Agence française de développement (AFD) de travailler sur des scénarios d’évolution de la bande sahélo-saharienne (BSS), et d’envisager de nouvelles approches, tant la dégradation de la situation y semblait rapide. Un regard sur la cartographie dynamique des actes violents suffit en effet à se convaincre d’une aggravation des problèmes.

En premier lieu, les zones touchées par les violences sont en nette extension, et le nombre d’attaques et de victimes s’est accru fortement en 2018, avec un premier semestre 2019 qui prolonge ces tendances. La palette des violences s’est aussi enrichie : actes terroristes certes, mais également conflits entre groupes armés, entre milices d’autodéfense, violences de certaines forces de sécurité (FDS) contre des populations civiles…

Au premier trimestre 2019, des massacres de villages ont par ailleurs commencé à rythmer le centre du Mali et le nord du Burkina Faso. Début janvier, au nord du Burkina, suite à une attaque d’éleveurs peulh sur la localité de Yirgou qui avait occasionné plusieurs morts dont celle du chef de village, des expéditions punitives menées par des populations mossi auraient fait près d’une cinquantaine de morts selon le bilan officiel. En mars 2019, dans le village d’Ogossagou, au centre du Mali, plus de 160 victimes civiles étaient tuées lors d’une attaque d’hommes à motos, présumés liés au groupe d’auto-défense dogon Dan Nan Ambassagou. Ces derniers accusaient les communautés peulh de la zone, dont celle du village d’Ogossagou, d’attaquer des villages dogon, appuyées par les « terroristes » de la Katiba Macina. Conséquence de ces événements : le nombre de déplacés internes et de réfugiés continue de progresser rapidement.

Certes, les marges de progression des armées nationales, en particulier malienne et burkinabè, sont importantes, et, mieux équipées et aguerries, elles pourront sans doute à l’avenir mieux répondre aux défis sécuritaires. D’ailleurs, le Tchad et la Mauritanie, avec des moyens équivalents, pré-sentent de meilleurs résultats quant à la protection de leur territoire. Mais aujourd’hui, force est de constater les grandes difficultés des appareils sécuritaires.

De plus, l’horizon reste globalement sombre, tant les tendances fondamentales de la zone demeurent préoccupantes. L’explosion démographique n’est pas un problème dans l’absolu mais de facto elle accentue tous les problèmes, à commencer par les besoins de services de base des populations, déjà difficilement couverts. Les économies nationales sont des économies de rentes, caractérisées par une importante prédation des élites. Un nombre restreint de produits sont exportés ; d’où l’exposition de chaque économie nationale, de chaque budget, aux évolutions aléatoires des cours mondiaux des dits produits. La baisse du cours du pétrole brut depuis 2014 a ainsi cruellement impacté le Tchad.

Cette complexion économique produit des marchés de l’emploi particulièrement atones, dont les capacités à créer de bons emplois ne couvrent pas 10 % des entrants annuels. Dans des pays où l’âge médian de la population est particulièrement bas (entre 15 et 17 ans selon les pays du G5 Sahel), les économies ne pourront pas profiter du dividende démographique, et l’état des marchés de l’emploi est une mécanique infernale et menaçante de frustration pour la jeunesse.

Les États s’appuient sur des bases fiscales étroites, et dépendent structurellement de l’aide extérieure pour mettre en place leurs politiques, voire simplement pour le traitement de leurs fonctionnaires. Lorsque le boom minier ou pétrolier leur permet temporairement d’échapper à cette réalité, les largesses budgétaires ne sont pas forcément utilisées pour mettre les pays sur les rails du développement ou de la diversification économique. Pour la Mauritanie, Moussa Fall, président du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), pointe, dans un document non publié intitulé 2008-2018. Une décennie perdue, le mésusage des ressources issues du boom minier, notamment au profit d’infrastructures de prestige, ou de la très discutable priorisation des investissements.

Les élites, ou tout du moins une partie d’entre elles, considèrent l’aide comme une rente et, plutôt que de d’ordonnancer les aides et les coopérations de développement en accord avec les plans de développement nationaux, préfèrent les recevoir de manière désordonnée, sans cohérence avec les politiques sectorielles nationales, afin qu’un maximum de flux de financements puissent être captés. Ainsi – on y reviendra –, c’est la présence même de l’État qui se détricote.

Enfin, l’absence de sursaut de ces élites est peut-être l’élément le plus inquiétant. On aurait pu espérer qu’au Mali par exemple, après la défaite de l’armée en 2012 et la rapide dégradation de la situation au Centre, s’instaure une autre gouvernance ; que des lignes rouges s’imposent contre les pratiques de corruption, de népotisme et de clientélisme qui avaient mené à la catastrophe. Or, le cours politique semble s’écouler paisiblement à Bamako, sans changement majeur, alors que plus de la moitié du territoire national est aujourd’hui contrôlée par d’autres acteurs que l’État. Cette incapacité à intégrer les leçons d’une triste décennie constitue sans doute la plus grande faute de ces élites contre le devenir national. […]

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