Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Matthieu Tardis, chercheur au Centre des Migrations et Citoyennetés de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Brice, Sur le fil de l’asile (Fayard, 2019, 280 pages).

Directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) de 2012 à 2018, Pascal Brice livre son témoignage sur des années marquées par la question de l’accueil des exilés, celui d’un haut fonctionnaire français, qui, avec ses équipes, a fait avancer la protection des réfugiés des rives de la mer du Nord aux quatre coins du territoire français, en Grèce, en Italie et en Espagne puis au Moyen-Orient et au Sahel.

« Le droit d’asile, rien que le droit d’asile ! » L’expression lancée à sa prise de fonction en décembre 2012 constitue le fil conducteur de son action. Les termes de « combat » et de « bataille » reviennent ici à de nombreuses reprises. Il s’agit bien d’un récit de combat pour sauvegarder une institution qui a permis aux grands-parents de l’auteur de se sauver du nazisme. L’ancien directeur de l’Ofpra relate les démantèlements des campements de migrants à Calais et Paris, et la mise en place des mécanismes de solidarité européenne avec l’Allemagne, la Grèce et l’Italie en 2015 et 2016. Il raconte le développement de la réinstallation des réfugiés à partir de la Turquie, du Liban, du Niger et du Tchad. Ces années charnières portent les germes d’une autre manière de protéger les réfugiés, et soulignent que la fidélité aux valeurs humanistes constitue une voie de règlement de ce qu’on a nommé « la crise migratoire ».

Pascal Brice décrit la transformation de l’institution qu’il a dirigée. Il démontre que, grâce à l’intelligence collective, une administration qui reconnaît le statut de réfugié au nom de la France depuis 1952 peut évoluer, s’adapter aux défis actuels. En projetant l’Ofpra au-delà des murs de sa banlieue parisienne, son directeur a bouleversé son fonctionnement habituel, pour sortir cet organisme de ce qu’il appelle un « burn-out collectif », et le remettre sur la voie de sa mission première : la protection des réfugiés. Désormais, c’est au plus près des personnes en besoin de protection en France, dans les ports européens et à l’extérieur de l’Union européenne (UE), que les agents de l’Ofpra se déploient.

Cet ouvrage témoigne contre la fatalité et constitue, d’une certaine manière, un guide méthodologique. L’Ofpra n’a pas fait évoluer le droit d’asile seul. La coopération avec les responsables politiques, les administrations, les organisations internationales, les associations et les bénévoles, constitue la condition sine qua non du changement. L’auteur évoque « une famille de l’asile », dont les membres peuvent avoir des intérêts divergents mais qui savent se retrouver autour de l’action commune.

Le contraste entre la réforme de l’Ofpra, qui a permis d’améliorer l’instruction des demandes d’asile tout en accélérant les procédures, et de multiples réformes législatives qui ne ciblent pas les réelles difficultés, amène à poser la question de l’efficacité de l’action politique dans un domaine aussi sensible. L’auteur ne délivre pas un réquisitoire contre les responsables politiques. Il en appelle au contraire à la responsabilité des dirigeants, notamment pour le débarquement des bateaux de migrants, ou pour répondre à la situation des personnes ne se trouvant pas dans le champ de l’asile. Il souligne également le danger de certaines décisions, revenant sur l’accord entre l’UE et la Turquie de mars 2016, aux termes duquel, selon lui, l’Europe a décidé de refouler des réfugiés – une première depuis la Seconde Guerre mondiale…

Matthieu Tardis

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