Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Robert Mandel, Global Data Shock. Strategic Ambiguity, Deception, and Surprise in an Age of Information Overload (Stanford University Press, 2019, 272 pages).

Dans son quinzième livre, Robert Mandel, professeur de relations internationales au Lewis and Clark College (Portland), traite de l’emploi au niveau stratégique de l’ambiguïté, des opérations de deception, et de la surprise et des liens qu’elles entretiennent avec la masse d’information disponible à l’âge d’Internet. L’auteur va à l’encontre de ceux qui estiment que le volume croissant de données accessibles n’est pas problématique puisque, à l’avenir, des filtres nous permettraient de le traiter efficacement et, par conséquent, autoriseraient une vision plus claire, voire parfaite, de la situation.

Robert Mandel juge cet espoir, porté par les tenants du big data, irréaliste pour de multiples raisons : les données récoltées ne sont pas forcément de qualité et peuvent être piratées ; les algorithmes de prédiction sont adaptés aux phénomènes linéaires mais pas aux chocs et aux revirements rapides que peuvent connaître les relations internationales ; lorsque les différences culturelles sont majeures, l’analyse de données peut conduire à des interprétations fausses ; les biais cognitifs ne disparaissent pas avec les algorithmes, etc.

Dans le même temps, la manipulation au niveau stratégique – c’est-à-dire chercher à faire agir la victime comme on le souhaite –, la recherche de la surprise et l’utilisation de l’ambiguïté, en particulier pour pouvoir nier certaines actions, sont très employées par des acteurs étatiques et non étatiques qui disposent d’outils toujours plus sophistiqués pour ce faire. La possibilité de créer de l’ambiguïté est directement liée à l’accessibilité à des masses très importantes d’informations contradictoires, accessibilité qui diminue la capacité du citoyen à faire la différence entre vérité et fausses nouvelles. Cette ambiguïté favorise les opérations de deception en permettant de manipuler les informations ou en promouvant une interprétation des faits allant dans un sens désiré. Le tout facilite la surprise, puisqu’il y a davantage de chances d’être étonné par des développements qui n’ont pas été anticipés. Cependant, l’auteur met aussi en relief que, selon les circonstances, l’utilisation de ces procédés n’est pas toujours avantageuse. Le coût sur les alliances et la crédibilité internationale n’est, par exemple, pas négligeable.

Mandel développe ensuite dix cas d’études de natures très différentes comme le style de politique étrangère de Donald Trump en 2017, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’attaque par Israël de l’installation nucléaire syrienne d’Al-Kibar en 2007, l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, etc. Un plan identique est suivi pour chaque cas : contexte de l’événement ; description de l’ambiguïté, de la deception et/ou de la surprise ; rôle de l’infobésité pour provoquer ambiguïté et deception ; efficacité et légitimité perçue de l’utilisation de ces procédés ; leçons pour le futur. À partir de ces dix exemples, l’auteur dégage ensuite des tendances comme le fait que la surprise fonctionne tout particulièrement lorsqu’une cible est très attachée au statu quo, ou encore que la manipulation au niveau stratégique est très efficace lorsque des versions des faits très différentes coexistent, y compris dans les sources normalement crédibles.

Pour conclure un livre très clair sur un sujet d’actualité majeur, l’auteur évoque plusieurs pistes pour contrebattre l’ambiguïté et la deception.

Rémy Hémez

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