Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Laurence Nardon propose une analyse de l’ouvrage de William J. Burns, The Back Channel. A Memoir of American Diplomacy and the Case for Its Renewal (Random House, 2019, 512 pages).

Les mémoires du diplomate Bill Burns couvrent l’administration des cinq présidents qui ont précédé Trump. Ambassadeur en Jordanie de 1998 à 2001 et en Russie de 2005 à 2008, Burns est sous-secrétaire aux Affaires politiques de 2008 à 2011 et secrétaire d’État adjoint de 2011 à 2014. À ce poste, il négocie le traité nucléaire avec l’Iran (Joint Comprehensive Plan of Action, ou JCPOA), son principal fait d’armes.

Ses mémoires sont d’abord un récit des événements dont il a été le témoin depuis les bureaux de Foggy Bottom, ou les capitales étrangères. Reconnaissant les succès mais aussi les errements de la politique américaine, son livre sera précieux aux futurs historiens. Au National Security Council et au Policy Planning Staff dans les années 1990, il a suivi de près la gestion de la fin de l’URSS par G. H. W. Bush et W. J. Clinton face à Gorbatchev, Eltsine et Poutine. Il revient sur le malentendu de l’expansion de l’OTAN vers l’Est : les Russes ont pensé que les États-Unis s’engageaient à ne pas le faire ; mais côté américain, il ne s’est jamais agi d’une promesse.

Burns décrit ensuite la réaction de l’Amérique aux Printemps arabes de 2011 puis aux dérapages de la guerre civile en Syrie. Il déplore ici l’engouement excessif de certains responsables américains pour les changements de régime dans la région. Ainsi, le département d’État (State Department) s’opposait-il au renversement de Saddam Hussein en Irak ; mais à l’époque, le vice-président Dick Cheney et le Pentagone avaient pris le pas sur lui. Plus tard, les mêmes calculs devaient mener à la destitution de Kadhafi en Libye et de Moubarak en Égypte.

Les négociations secrètes avec l’Iran (d’où le titre du livre Back Channel, « canal alternatif ») sont également racontées, des premiers contacts de 2008 au démarrage des discussions en 2013, jusqu’à leur signature en juillet 2015. Burns a publié plusieurs éditoriaux depuis 2015 pour dénoncer la destruction du JCPOA par l’administration Trump.

L’auteur prend ensuite la défense du travail diplomatique, ce qui revêt un relief particulier à l’heure où le président se détourne ostensiblement de cet instrument, et où de nombreux postes du State Department restent non pourvus. Aux termes de soft power, hard power ou encore smart power, Burns joint celui de quiet power (le « pouvoir tranquille »), pour désigner le travail incessant, minutieux, rarement mis en valeur (à l’inverse des victoires militaires, par exemple) accompli par les diplomates de grande qualité qu’il a côtoyés. La politesse et la modestie de l’auteur, qui transparaissent sans arrêt dans ces pages, semblent de ce point de vue exemplaires.

Enfin, Burns propose une réflexion sur le rôle de la diplomatie et des États-Unis dans le monde. La conduite de négociations sur le long terme et dans l’intérêt du pays est primordiale dans un monde où les interactions ne sont pas à somme nulle – une conception aux antipodes de celle de D. Trump. Si le « moment américain » des années 1990 est clos, les États-Unis conservent néanmoins la capacité d’agir pour le bien dans le monde, et se doivent donc de le faire. Burns conseille cependant au State Department de se montrer dans l’avenir moins attentiste et moins bureaucratique, mieux connecté politiquement, notamment avec le Congrès. Enfin, les diplomates devraient mieux communiquer sur leurs succès auprès du grand public américain. Dont acte.

Laurence Nardon

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