La rédaction de Politique étrangère vous offre à (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue.
Nous vous proposons aujourd’hui un article de Jean-Pierre Derisbourg, intitulé « Cuba et les États-Unis », et publié dans le numéro de printemps 2000.

En janvier 1959, Fidel Castro triomphait ; descendant de la montagne, ses troupes barbues saisissaient sans bain de sang La Havane. Nombreux étaient ses soldats qui portaient un chapelet autour du cou et une foule délirante les applaudissait. Cuba se croyait à l’aube d’une période de justice sociale et de démocratie mettant fin à la longue dictature sanglante de Fulgencio Batista ; le rêve devait vite tourner au cauchemar avec l’instauration de la dictature du parti unique, les nationalisations, les confiscations, l’abolition de la propriété privée, et les camps de travaux forcés, notamment dans les champs de canne à sucre. Un million de Cubains, presque un sur dix, choisiront l’exil, largement vers la Floride et le reste des États-Unis. En 1959, le revenu par tête d’habitant était le 4e parmi les plus élevés de l’Amérique latine : il est aujourd’hui le plus bas avec
1 300 dollars par habitant et par an.

L’embargo américain de 1962

Contre ce régime marxiste et dictatorial à 100 km de Key West, le gouvernement américain interdisait en 1962 le tourisme vers Cuba et instaurait un embargo total sur le commerce et la circulation des capitaux. Ces mesures, décidées il y a 37 ans, sont toujours en vigueur. Le régime cubain a certes vacillé et hésité après la chute du mur de Berlin et l’effondrement assez rapide de l’Union soviétique. Jusque-là, Cuba et Castro pouvaient affronter les Etats-Unis grâce à une aide économique et militaire de l’URSS estimée à
5 milliards de dollars par an. Pendant l’été 1994, les Cubains, appauvris par la fin de cette manne soviétique, envahissaient les rues et osaient, pour la première fois, protester contre le despote de La Havane. Devant les réactions musclées du pouvoir, de nombreux citoyens construisaient à la hâte radeaux et embarcations de fortune pour rejoindre la Floride ; beaucoup périrent en mer dans cette tentative périlleuse. Cette période critique a mis en lumière une division profonde à travers la population entre les communistes qui soutenaient inconditionnellement Fidel Castro et détestaient les États-Unis, et ceux qui ne pouvaient plus supporter la pauvreté, le despotisme, la corruption et l’interdiction même de parler et de se réunir librement.

La population est encadrée par le parti communiste. Chaque quartier est surveillé par un
« Comité pour la défense de la Révolution ». Le comité réunit les voisins dans la rue pour discuter des problèmes communs et passer les directives. Il s’occupe de tout, du recyclage des matériaux aux patrouilles nocturnes, des campagnes de vaccination aux permis temporaires de résidence. En effet, personne ne peut emménager ou déménager sans autorisation : le permis temporaire est accordé pour trois mois pendant lesquels le demandeur doit faire refaire tous ses papiers : carte d’identité, carte de rationnement, et même permis de conduire. On peut en revanche mettre au crédit de la Révolution l’éducation gratuite —
1 enseignant pour 42 habitants — et les soins de santé gratuits : 63 000 médecins d’État, chacun étant responsable des 500 personnes de son quartier ; 7 lits d’hôpital pour 1 000 habitants.

La loi Helms-Burton de 1995

En 1995, les forces cubaines abattaient deux avions privés américains, pilotés par des exilés activistes cubains de Miami, qui avaient survolé les limites territoriales cubaines et diffusaient de la propagande anticastriste. Les relations avec les États-Unis se tendaient de nouveau et le président Clinton signait la loi Helms-Burton passée au Congrès sous la pression de deux associations d’exilés cubains. Cette loi renforce l’embargo de 1962 et permet des sanctions contre les entreprises étrangères (canadiennes, européennes ou d’Amérique latine) investissant ou commerçant avec les entreprises cubaines (autrefois américaines) expropriées par Fidel Castro. Cette fois, l’embargo unilatéral américain allait embarrasser des entreprises non américaines qui, depuis l’abandon de Cuba par la Russie, commençaient à redevenir actives. En effet, Fidel Castro, touché par cette crise majeure de son régime, avait décidé, au début des années 90, d’ouvrir le pays aux investissements étrangers non américains et cette politique d’ouverture portait ses fruits : les entreprises canadiennes, espagnoles et italiennes investissaient de nouveau et le tourisme en provenance de ces pays redémarrait (1,4 million de visiteurs en 1998). L’Union européenne et le Canada contestent cette loi Helms-Burton pour son application extraterritoriale : le président Clinton ne l’a finalement jamais utilisée pour sanctionner des entreprises étrangères, mais la menace, sérieuse, a dû certainement freiner d’éventuels nouveaux investissements à Cuba. Après sa réélection en 1996, Bill Clinton assouplissait son opposition à Cuba en créant l’Institute for Democracy in Cuba financé par PUSAID (United States Agency for International Development). L’Administration américaine voulait ainsi développer la société civile cubaine en fournissant nourriture et médicaments aux familles des prisonniers politiques, en distribuant livres et revues ainsi qu’en aidant les organisations non gouvernementales cubaines. L’idée sous-jacente à cette aide est de préparer une transition douce entre le totalitarisme et le retour futur à la démocratie.

En 1997, les familles de 4 pilotes cubains-américains, dont les avions enregistrés aux États-Unis avaient été abattus par un Mig cubain, obtenaient d’un tribunal américain une compensation de 187 millions de dollars, cette compensation financière devant être retenue sur les paiements en dollars effectués par les compagnies américaines de téléphone à la compagnie étatique cubaine de téléphone, ETECSA. Cette dernière qui, depuis 1994, recevait officiellement ces paiements pour permettre des contacts « people to people », menaçait à son tour de couper toutes les communications téléphoniques entre Cuba et les États-Unis.

La visite du pape en 1998

La visite du Pape à Cuba, début 1998, marque indubitablement un changement d’attitude du camp occidental à l’égard du peuple cubain, souffrant de l’embargo, sans modifier l’ostracisme à l’égard de la personne de Fidel Castro, pourtant de plus en plus fréquenté par les gouvernements d’Amérique latine. Bien sûr, le Pape n’a pas obtenu davantage que de bonnes paroles de la part de Fidel Castro et quelques assouplissements à l’égard de l’Eglise et de l’exercice du culte. Mais l’opinion publique aux États-Unis et même l’une des deux grandes associations d’exilés cubains ont commencé à demander l’assouplissement de la politique américaine. Des entreprises comme Caterpillar, producteur de tracteurs, Archer Daniels Midland, géant de l’agroalimentaire, des associations comme USA Engage et US Chamber of Commerce, trois anciens secrétaires d’État, dont Henry Kissinger, vont réclamer la constitution d’une commission pour revoir la stratégie américaine et assouplir l’embargo de 1962 et la loi Helms- Burton de 1995. Sous des dehors humanitaires, l’initiative consistait essentiellement à ne pas laisser le futur marché cubain aux seules mains des entreprises canadiennes, européennes et d’Amérique latine.

Les assouplissements décidés par Bill Clinton en 1999

En octobre 1998, un groupe de sénateurs (sans Jesse Helms, le puissant président de la commission des Affaires étrangères au Sénat, naturellement) proposait que le Président convoque une commission bipartisane, composée de républicains et de démocrates, pour revoir la politique américaine. Sans aucun doute, ils avaient en tête l’inefficacité des sanctions économiques unilatérales américaines et, plus discrètement, le souci de pouvoir exporter les surplus alimentaires américains vers les pays sanctionnés comme Cuba, l’Iran, l’Irak, la Corée du Nord et la Libye. Le président Clinton a rejeté cette idée de commission bipartisane, d’inspiration trop républicaine, et a lancé en revanche une série de mesures, démocrates, en faveur de la population cubaine. Ces mesures, annoncées le 5 janvier 1999, tout en maintenant les sanctions économiques contre le gouvernement cubain, veulent démontrer le soutien américain au peuple de l’île ; elles doivent faciliter le flot d’informations échangées avec les États-Unis et aider les organisations à établir une infrastructure de la société civile prête à prendre le relais en cas d’effondrement du régime castriste.

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