Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère 
(n° 3/2020)
. Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Une guerre perdue. La France au Sahel (JC Lattès, 2020, 200 pages).

Dans cet essai, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste des conflits, du Nigeria, de Boko Haram, tente de dresser le bilan de l’action de la France au Sahel, en particulier de sa lutte contre le terrorisme depuis l’intervention de l’opération Serval. Comme on l’aura deviné avec le titre, la tonalité est résolument pessimiste. L’auteur pense en effet que les effets négatifs de l’action antiterroriste française au Sahel dépassent ses conséquences positives.

Une approche par trop sécuritaire, une méconnaissance, ou tout du moins une sous-évaluation des problèmes politiques des États comme des enjeux de pouvoirs locaux, une coopération qui parfois contribue involontairement, comme c’est le cas au Tchad, à maintenir un régime kleptocratique en place : le diagnostic est sévère. Le livre s’attache d’abord au Mali, puis élargit sa réflexion au Sahel, appuyant sa démonstration de multiples pas-de-côté historiques ou géographiques (débat sur le djihadisme, Kenya, Soudan, Nigeria…).

La partie centrale du livre – « Les erreurs de diagnostic » – est la plus stimulante. Consacrée à l’analyse des causes profondes de la conflictualité au Sahel, elle parle évidemment de la France et, au-delà, de l’ensemble de la communauté internationale. Parmi les biais d’analyse, l’auteur pointe la « labellisation terroriste » des conflits, qui a « favorisé des mécanismes qui ont contribué à entretenir et exacerber les conflits » – à travers la militarisation outrancière de la réponse ; des partenaires techniques et financiers qui ferment les yeux sur les dérives multiples des régimes politiques, au motif que ceux-ci combattent un « péril global » ; la survalorisation du djihad globalisé dans l’analyse des conflits ; la pauvreté invoquée comme facteur direct des conflits, alors que la relation pauvreté-conflit est à resituer dans des configurations plus complexes et labiles, et est toujours médiée par d’autres facteurs ; la survalorisation du facteur religieux au détriment des dynamiques sociales et politiques ; les limites des approches de « déradicalisation »…

Au total, cet essai vaut mieux que son titre, et que certaines de ses pages, inutilement polémiques. Marc-Antoine Pérouse de Montclos pointe avec justesse à la fois les erreurs d’analyse et de réponses politiques aux phénomènes combattus. Si une approche par trop militarisée peut apporter quelques améliorations ponctuelles et des répits politiques, les interventions internationales risquent de contribuer in fine à allonger les durées des conflits, ce qui ternit, et ternira, l’image de la communauté internationale.

L’ouvrage ouvre enfin un débat plus vaste, sur les politiques de la communauté internationale qui contribuent à maintenir, sinon des régimes, du moins des ordres politiques contestés par des segments de plus en plus larges des opinions publiques sahéliennes. Les violences, et les conflits que l’on labellise « terroristes » ne sont qu’un des aspects des transformations de ces ordres politiques qui sont en train de maturer, avec probablement de nouveaux types de dirigeants et surtout de nouvelles sources de légitimité. Ces questionnements rejoignent d’anciens travaux de l’auteur, où il montrait que les interventions extérieures avaient plutôt tendance à allonger les cycles de conflits en bridant les processus historiques à l’œuvre.

Alain Antil

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