Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Bertrand Badie, Inter-socialités. Le monde n’est plus géopolitique  (CNRS Éditions, 2020, 232 pages).

Le dernier ouvrage de Bertrand Badie propose une nouvelle lecture des relations internationales à la lumière des récents événements qui ont secoué le monde. Il part du constat que les manifestations de l’année 2019 contre les pouvoirs, du Chili à l’Iran en passant par la France, « replacent le social, exprimé ou subi, au centre du jeu international, de manière non pas conjoncturelle mais essentielle et durable ». Il en est de même de la pandémie, qui a fait dire à Henry Kissinger qu’elle a « modifié à jamais l’ordre mondial ».

En fait, l’analyse proposée s’inscrit dans la lignée des précédents ouvrages de l’auteur qui annoncent la fin de l’ordre westphalien et l’importance des sociétés dans la vie internationale, et pour qui le social « s’installe au centre même du jeu international ». Quant aux piliers de l’ordre international, ils se sont effondrés : il n’y a plus de polarisation capable de l’organiser, de structurer les politiques étrangères et d’ordonner les enjeux ; la puissance militaire n’est plus décisive, comme l’ont montré notamment les interventions américaines en Afghanistan ou en Irak ; les alliances perdent de leur stabilité et se noient dans la fluidité des rapports entre États.

Si la logique sociale a pris le dessus, c’est que trois ruptures sont intervenues. La décolonisation, qui s’est traduite par la création d’États faibles voire faillis ; la dépolarisation avec la chute de l’URSS, qui s’est accompagnée de la dévaluation de la puissance militaire ; enfin la mondialisation, jointe à une « fulgurante ascension des capacités de communication reliant directement entre eux les acteurs sociaux ». De même, des thèmes nouveaux se sont imposés dans la vie internationale, comme le constatait dès 1994 le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dans son premier Rapport sur le développement humain, qui mettait en valeur le concept de sécurité humaine. Ainsi, les questions alimentaires, environnementales et sanitaires ont pris une importance majeure dans la vie internationale.

Si « naguère, le diplomate et le soldat contrôlaient la quasi-totalité du jeu international au nom du prince », il n’en est plus de même aujourd’hui. Les États sont concurrencés par de nouveaux acteurs, qu’il s’agisse d’acteurs transnationaux comme les grandes organisations non gouvernementales – Amnesty International, Greenpeace, WWF –, mais également des « entrepreneurs identitaires », qui peuvent avoir un caractère tribal, ethnique ou religieux. De même, des « tyrans privés » comme les grandes agences de notation financière ou le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) fixent des normes, règlent des conflits ou émettent des régulations.

Ces idées ne manqueront pas de faire débat. Mais les situations qui se développent dans de nombreuses parties du monde, notamment au Moyen-Orient, illustrent bien les changements profonds intervenus dans les relations internationales. Tout ceci implique la définition d’un nouveau type de politique étrangère, dont l’auteur esquisse les principaux axes. Ce livre stimulant devrait contribuer à faire évoluer les pratiques diplomatiques, qui devront désormais tenir compte davantage du rôle croissant des sociétés civiles.

Denis Bauchard

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