Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Samy Cohen propose une analyse de l’ouvrage de Ronen Bergman, Lève-toi et tue le premier. L’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël  (Grasset, 2020, 944 pages).

Plus de 900 pages – une somme passionnante – relatent les opérations de liquidation menées par Israël contre les chefs des organisations palestiniennes et du Hezbollah, mais aussi contre les Britanniques en Palestine et les savants allemands en Égypte. Elles sont parfois décrites avec un luxe de détails, parfois parcimonieusement, signe du secret qui entoure encore certaines d’entre elles.

Si l’opinion publique israélienne leur est largement favorable, pour les organisations non gouvernementales (ONG) de droits de l’homme il s’agit là d’« exécutions extra-judiciaires ». Les responsables israéliens les ont justifiées en les présentant comme des actes d’autodéfense pour neutraliser des individus sur le point de commettre un attentat. « Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier », dit le Talmud. De fait, Israël s’en est pris non seulement aux activistes sur le point de passer à l’acte, mais à tous ceux qui interviennent dans le processus de préparation d’un attentat, du chef de l’organisation aux simples exécutants.

Nombre d’opérations se sont déroulées en Europe, comme la liquidation de membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), suite au massacre des Jeux olympiques de Munich en 1972 ; d’autres sur le sol de pays arabes, comme au Liban (liquidation du chef du Hezbollah Abbas el-Moussaoui), en Syrie (assassinat de Imad Moughniyah), aux Émirats arabes unis (Mahmoud Al-Mabhouh est tué dans sa chambre d’hôtel à Dubaï par une équipe du Mossad déguisée en tennismen), ou en Jordanie et dans les territoires occupés.

Le contraste entre le luxe de précautions prises pour éviter des dommages collatéraux et un certain laxisme entraînant la mort de civils innocents est frappant. On ne peut manquer aussi d’être saisi par le hiatus entre la virtuosité de certaines actions et l’amateurisme de beaucoup d’autres, comme l’opération ratée à Lillehammer, en Norvège en 1973, digne des Pieds nickelés, ou la tentative avortée d’assassiner Khaled Mechaal à Amman en 1997.

L’auteur, Ronen Bergman, journaliste au Yediot Aharonot, s’appuie sur une vaste littérature et un grand nombre d’entretiens. Il resitue chaque fois opportunément le contexte dans lequel ces opérations ont été conduites, les débats parfois intenses sur l’opportunité de telle ou telle attaque. La personnalité du Premier ministre et du ministre de la Défense, qui les approuvent ou non, est déterminante, mais également celle des chefs des services (Mossad, Shin Bet, Aman), qui peuvent encourager, ou empêcher, des opérations qui sont parfois pures folies. La tentative d’assassiner Yasser Arafat en abattant un avion de ligne dans lequel il était supposé se trouver, est à cet égard édifiante. Sans le sens de responsabilité des responsables militaires de l’opération voulue par Ariel Sharon, à l’époque ministre de la Défense, elle aurait pu tourner à la catastrophe.

Ce livre nous offre une perspective d’ensemble sur ce que l’auteur appelle « la machine à assassiner la plus solide, la plus rationalisée de l’histoire ». Mais a-t‑elle apporté un surcroît de sécurité ? Dans certains cas oui, dans d’autres non. C’est là une arme à double tranchant, et les responsables israéliens, enivrés par le caractère souvent ingénieux de leurs opérations, et convaincus qu’elles plaisent à l’opinion, l’ont souvent sous-estimé. Un livre à lire en complément des travaux des chercheurs sur le sujet.

Samy Cohen

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