Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Jean-Christophe Defraigne propose une analyse de l’ouvrage de Paul Blustein, Schism: China, America, and the Fracturing of the Global Trading System (The Centre for International Governance Innovation, 2019, 360 pages).

Paul Blustein, ancien journaliste au Washington Post et au Wall Street Journal, publie un livre qui constitue une synthèse assez complète des relations commerciales sino-américaines et de l’évolution des négociations commerciales multilatérales depuis l’ouverture de la Chine et son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le lecteur trouvera dans cet ouvrage bon nombre de citations intéressantes et d’études de cas de litiges commerciaux. Il y suivra les péripéties de la politique commerciale américaine vis-à-vis de la Chine, mais aussi celles du système multilatéral.

Son analyse de la position des gouvernements successifs des États-Unis, de l’industrie et de l’opinion publique américaines face à la montée commerciale chinoise est assez convaincante et complète. Elle met en évidence la vision optimiste de nombreux officiels américains, quant aux effets de l’entrée de la Chine à l’OMC et de sa libéralisation commerciale sur le système sociopolitique chinois, et sur la pénétration du marché chinois par les firmes américaines, mue en position de plus en plus défensive à partir de la fin des années 2000. Paul Blustein montre comment les autorités américaines se rendent compte que le gouvernement chinois ne poursuit pas un programme de libéralisation visant à adopter le modèle de capitalisme prôné par Washington, mais développe des politiques industrielles et commerciales de type mercantiliste.

Schism est pourtant moins convaincant sur l’analyse de la stratégie chinoise et des causes structurelles de l’affrontement commercial sino-américain. L’opacité du système politique chinois ne permet pas à Blustein d’analyser les motivations de ses dirigeants avec autant de finesse que celles de leurs homologues américains, mais il accorde une importance arbitraire à la personnalité de ces dirigeants chinois dans l’évolution des orientations économiques et géopolitiques du pays, en exagérant parfois les différences entre Zhu Rongji, Hu Jintao et Xi Jinping.

Trop porté sur les péripéties des négociations commerciales, leurs acteurs et les litiges commerciaux au sein de l’OMC, l’ouvrage néglige les contraintes économiques d’une Chine encore en voie de rattrapage, et les effets globaux de l’industrialisation des grandes économies émergentes depuis les années 1990 sur les rapports de force au sein de la gouvernance globale, de l’OMC au Fonds monétaire international (FMI). Les inévitables conséquences géopolitiques de l’exceptionnelle croissance économique de la Chine ces quatre dernières décennies sont abordées de manière trop superficielle. L’ouvrage pêche aussi par une approche partisane en faveur du libéralisme économique multilatéral. Blustein refuse de considérer qu’un État développementaliste puisse efficacement adopter des politiques industrielles et commerciales permettant un rattrapage industriel, technologique et militaire. En écartant d’emblée les arguments interventionnistes d’un Friedrich List ou d’un Paul Krugman, et en ne présentant pas les modèles des politiques industrielles japonaises ou coréennes dont s’inspirent en partie les dirigeants du Parti communiste chinois, il s’interdit d’analyser les éléments de continuité de la politique commerciale chinoise depuis quatre décennies, et sa confrontation inévitable avec les économies les plus avancées – les États-Unis en tête, mais aussi l’Union européenne et le Japon.

Jean-Christophe Defraigne

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