Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en avant-première l’article du numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021) – disponible dès lundi 8 mars – que vous avez choisi d'(é)lire : « Diplomatie chinoise : de l’ « esprit combattant » au « loup guerrier » », écrit par Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, et Sophie Hanck, assistante de recherche au Centre Asie de l’Ifri.

Le développement de l’épidémie du COVID-19 début 2020 a placé la Chine sous les projecteurs : à la crise sanitaire interne s’est ajoutée celle de son image extérieure. Les nombreux doutes quant au nombre d’infections et de décès quotidiens, l’absence de transparence de l’enquête sur l’origine du virus, le retard volontaire pris entre le 14 et le 20 janvier pour déclarer la transmission interhumaine du virus, puis la pression exercée sur l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour retarder la déclaration de l’Urgence de santé publique de portée internationale au 30 janvier, ont suscité critiques et suspicions. Dans ce contexte, nombre de diplomates chinois, à Pékin et dans le monde, sont sortis de leur réserve habituelle pour défendre haut et fort le discours officiel.

Alors que la Chine déplore les « préjugés hostiles », le paradoxe est celui d’une diplomatie qui, dans sa croisade contre ce qu’elle estime être une campagne de désinformation visant à lui nuire, contribue à aggraver la défiance générale. Cette nouvelle pratique diplomatique est-elle le fruit d’initiatives personnelles de diplomates zélés, ou d’une stratégie du gouvernement central ? Et quelles sont ses conséquences pour les relations internationales et l’image de la Chine dans le monde ?

«  Loups guerriers  » et diplomatie du tweet

Face à la vague de critiques internationales, de nombreux diplomates chinois se sont démarqués par une attitude agressive, dénonçant sur les médias et les réseaux sociaux occidentaux les politiciens et « médias occidentaux antichinois ». Cette contre-offensive visait à discréditer les critiques à l’encontre de la Chine, et à les retourner contre les puissances étrangères. À partir d’avril 2020 cette communication agressive a été surnommée dans les médias la « diplomatie du loup guerrier », en référence au film Wolf Warrior 2, le plus grand succès du box-office chinois, sorti en 2017.

La figure de proue des « loups guerriers » est sans nul doute le directeur-adjoint et porte-parole du Bureau de l’information du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian : il s’est notamment illustré en remettant en cause à de multiples reprises l’origine du virus, suggérant qu’il aurait été élaboré dans un laboratoire de l’armée américaine puis introduit en Chine. Une rumeur relayée par le réseau diplomatique chinois à travers le monde.

À l’étranger, nombre d’ambassades et chefs de mission ont déployé une campagne de communication inédite, publiant des tribunes sur leur site internet et s’exprimant abondamment dans les médias du pays hôte, en Suède, en Allemagne, en Pologne, au Canada ; mais la France est sans doute le pays où l’attitude de la mission diplomatique a été la plus véhémente. Au printemps 2020, l’ambassade de Chine en France a publié cinq tribunes s’en prenant aux médias, experts et politiciens occidentaux, censés chercher à « calomnier » et « stigmatiser » la Chine. Parmi les propos les plus polémiques, l’ambassade affirmait que « les autorités taiwanaises, soutenues par plus de 80 parlementaires français dans une déclaration co-signée, ont même utilisé le mot “nègre” pour s’en prendre au Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus », ou encore que « les personnels soignants des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ». Cette tribune du 12 avril (retirée depuis du site de l’ambassade) a valu à l’ambassadeur chinois convocation par le ministre français des Affaires étrangères.

Les diplomates en poste à l’étranger ont massivement relayé le discours officiel de Pékin sur le succès de la réponse chinoise à l’épidémie, et sur l’aide sanitaire offerte par la Chine au reste du monde (n’hésitant pas à confondre dons et ventes d’équipement médical) : la fameuse « diplomatie du masque ».

Outre la communication institutionnelle et le recours aux médias traditionnels, le phénomène nouveau a été l’utilisation par les diplomates des réseaux sociaux Twitter et Facebook (par ailleurs interdits en Chine), ces derniers permettant de répondre, de manière plus directe et moins feutrée, aux critiques, et de diffuser le récit officiel chinois sur la pandémie. L’un des sujets les plus épidermiques sur les réseaux étant bien entendu la question de l’origine du virus. Les comptes diplomatiques chinois sur les réseaux ont inlassablement cherché à contrer, souvent de manière agressive, le discours sur le « virus chinois » promu au premier chef par Donald Trump. Après que le fils du président Bolsonaro a qualifié sur Twitter le coronavirus de « virus chinois », l’ambassade de Chine au Brésil a répondu : « À votre retour de Miami, vous avez malheureusement contracté un virus mental, qui infecte les amitiés entre nos peuples. » À des officiels vénézuéliens qui mentionnaient aussi le « virus chinois », l’ambassade de Chine au Venezuela a répondu : « Dépêchez-vous de chercher un traitement approprié. La première étape pourrait être de mettre un masque et de vous taire. » Si l’activité des comptes diplomatiques a été décuplée durant la crise du COVID-19, une analyse plus fine de ces comptes sur Twitter permet de mettre en avant deux aspects : le premier est que cette stratégie de communication a été adoptée dès 2019, soit avant le début de la pandémie ; le second, que le nombre de comptes de missions diplomatiques ou consulaires reste supérieur à celui des comptes personnels de diplomates. […]

Au vu de la très forte inflation des comptes diplomatiques chinois sur Twitter à partir du deuxième semestre 2019, l’utilisation du réseau social par les diplomates paraît plus refléter une politique du ministère des Affaires étrangères que des initiatives personnelles et décentralisées : il s’agirait donc là d’une véritable stratégie de communication. Le facteur individuel n’est toutefois pas à exclure, particulièrement à l’égard des comptes personnels. En Europe par exemple, l’ambassadeur au Royaume-Uni et son ministre-conseiller ont leur propre compte, tout comme les ambassadeurs en Belgique, aux Pays-Bas, en Bulgarie, en Autriche, en Pologne, ou encore les consuls généraux à Hambourg, Zurich ou Belfast. A contrario, les ambassadeurs de Chine en France, en Allemagne, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Italie et en Espagne ne possèdent pas de compte personnel. Ils n’en sont pas moins actifs dans les médias traditionnels, et leurs ambassades disposent toutes d’un compte très actif.

Zhao Lijian semble avoir joué un rôle de pionnier dans l’usage de Twitter comme vecteur offensif et défensif. Son compte datant de mai 2010, il est, de très loin, le premier diplomate chinois de notre échantillon à s’être inscrit sur Twitter. En outre, l’ambassade de Chine au Pakistan, où il a été ministre conseiller entre l’été 2015 et l’été 2019, a ouvert un compte Twitter dès septembre 2015. Parmi les représentations diplomatiques de notre échantillon, c’est elle qui possède aujourd’hui le plus grand nombre d’abonnés (117 500), loin devant les ambassades au Brésil et aux États-Unis (76 300 et 73 700). Zhao Lijian possède lui-même le record du nombre d’abonnés de notre échantillon : 876 300 followers, contre 105 600 pour l’ambassadeur de Chine à Washington et 103 800 pour son collègue de Londres. Le fait que Zhao Lijian soit un pionnier de l’utilisation des réseaux sociaux dans la diplomatie chinoise, ainsi que le premier diplomate chinois sur Twitter, et qu’il ait été promu directeur-adjoint du Département de l’information du ministère des Affaires étrangères à l’été 2019, sont autant d’éléments indiquant que sa pratique des réseaux sociaux américains est approuvée, et encouragée, par les autorités centrales.

Si la présence des diplomates chinois sur Twitter ne date pas de 2020, l’attitude plus proactive et offensive de ces derniers dans les médias traditionnels étrangers peut également être observée dès 2019 et s’est accentuée depuis lors. Elle se manifeste souvent de manière menaçante : l’ambassadeur de Chine en Suède, Gui Congyou, n’hésite pas à recourir à l’intimidation contre le gouvernement et les médias dont les positions contrarieraient les intérêts de la Chine. En novembre 2019, alors que l’écrivain Gui Minhai, naturalisé Suédois et détenu en Chine, se voyait décerner un prix par l’association de défense de la liberté d’expression PEN Suède, l’ambassadeur déclarait sur une radio publique : « Certaines personnes en Suède ne devraient pas s’attendre à se sentir à l’aise après avoir blessé les sentiments du peuple chinois et les intérêts de la Chine. » En janvier 2020, à propos du traitement de la Chine par les journalistes suédois, il commentait sur un autre média : « Les fréquentes attaques vicieuses contre le PCC et le gouvernement chinois par certains médias et journalistes suédois m’ont rappelé un scénario où un boxeur de 48 kg ne cesse de défier au combat un boxeur de 86 kg. Le boxeur de 86 kg, voulant par bonté protéger le boxeur léger, lui conseille de partir et de s’occuper de ses affaires, mais ce dernier refuse d’écouter, et fait même irruption dans la maison du boxeur poids lourd. Quel choix croyez-vous qu’il reste au boxeur lourd ? »

En janvier 2019, en amont de la visite du président du Sénat de la République tchèque à Taïwan, l’ambassade de Chine faisait parvenir un courrier au ton menaçant à la présidence de la République : « Les entreprises tchèques qui ont des intérêts économiques en Chine devront payer pour la visite à Taïwan du président Kubera. » La visite n’a finalement pas eu lieu du fait du décès de ce dernier, mais son successeur s’est rendu à Taïwan en août 2020. Le ministre chinois des Affaires étrangère, Wang Yi, en visite en Europe, déclarait alors qu’il « paierait un lourd tribut pour son action à courte vue et sa manipulation politique ».

Les fondements d’une doctrine d’affirmation de puissance

La présidence de Xi Jinping a rompu avec celles de ses prédécesseurs sur le plan de l’affirmation du discours officiel sur la scène internationale. S’éloignant du « profil bas » prôné par Deng Xiaoping dans les années 1980, et du modèle de l’émergence pacifique des années 2000, la Chine se montre aujourd’hui de plus en plus encline à s’affirmer face aux discours critiques pour défendre ses « intérêts fondamentaux » (核心利益, héxīn lìyì).

La politique étrangère chinoise avait déjà pris quelque assurance sous Hu Jintao, en particulier à partir de 2008, quand la Chine a commencé à aligner les coups d’éclat : Jeux olympiques de 2008 ou Exposition universelle de 2010. Xi Jinping a systématisé l’affirmation de Pékin sur la scène internationale, annonçant au 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en 2017 que la Chine était en train de « se rapprocher du centre de la scène mondiale ». Ce mouvement d’affirmation s’accompagne d’une refonte des stratégies de communication.

Pour Pékin, affirmer la voix de la Chine au-delà des frontières est prioritaire pour répondre à un rapport de force déséquilibré favorisant les États-Unis et l’Occident. Le discours officiel théorise ce déséquilibre en affirmant que la Chine souffre d’un déficit de « droit de parole international ». Ce concept apparaît vers 2008, et est repris et amplifié sous Xi Jinping. Le Bureau de l’Information du Conseil d’État soulignait, dans un article publié sur son site internet en 2017, la « nécessité de renforcer le droit de parole international de la Chine, et de rompre avec le schéma de base d’un discours international où “l’Occident est fort et nous sommes faibles” ».

Selon Sun Jisheng, actuelle vice-présidente de l’École des Affaires étrangères, ce déséquilibre dérive du fait que « les médias étrangers calomnient et déforment souvent l’image de la Chine. La théorie de la ligne dure et celle de la menace chinoise, ou encore la démocratie et les droits de l’homme sont devenus des sujets récurrents dans les médias occidentaux ». Présenté comme le résultat d’un effort délibéré des pays occidentaux visant à endiguer la montée en puissance de la Chine, le défaut de « droit de parole international » est devenu un motif obsessionnel du discours officiel. La nécessité de « bien raconter l’histoire de la Chine (讲好中国故事, jiǎng hǎo zhōngguó gùshì) » découle directement de cette représentation. Cette expression apparaît en 2013, à la Conférence nationale de travail sur la propagande et l’idéologie : elle constitue désormais l’un des concepts directeurs de la propagande chinoise, recouvrant sous une formulation vague un ensemble de stratégies devant permettre à Pékin de se placer sur un pied d’égalité avec la puissance discursive occidentale. Prônant la diffusion du discours officiel chinois à l’étranger, Xi Jinping en appelle dès 2013 à « l’innovation des méthodes de propagande extérieure ».

Les médias chinois d’État jouent un rôle central dans la promotion extérieure du discours officiel. La Chine se ménage une place au sein des écosystèmes médiatiques étrangers en créant de nouveaux médias d’État multilingues, comme CGTN (China Global Television Network), chaîne de télévision fondée en 2016 prenant le relais de CCTV International, diffusée en six langues. Des médias officiels établissent aussi des partenariats avec de grands quotidiens internationaux. En France, Le Figaro publie mensuellement depuis 2015 le supplément China Watch, en partenariat avec le quotidien d’État China Daily. Au message rassurant de ces médias s’ajoute une dimension plus offensive : « bien raconter l’histoire de la Chine » implique de disqualifier plus activement le modèle occidental et ses valeurs. Le Quotidien du Peuple a ainsi publié en 2017 un article en ligne appelant à « résister à la tentation du discours politique occidental et éviter de tomber dans ce piège », soulignant que « la démocratie à l’occidentale ne convient pas aux pays non-occidentaux ». La multiplication des comptes officiels sur les réseaux sociaux participe de cette tentative de construire une véritable caisse de résonance pour le discours officiel chinois.

Au-delà de ces efforts de diffusion, médias et cadres du Parti doivent faire preuve d’une conformité absolue avec la ligne officielle. L’harmonisation du discours s’appuie sur l’intégration par tous de la « pensée de Xi Jinping ». En février 2016, lors d’une visite au siège du Quotidien du Peuple, Xi Jinping affirmait que les médias officiels « ont le Parti pour nom de famille », et doivent « refléter la volonté et les idées du Parti, sauvegarder l’autorité du Comité central du Parti, maintenir l’unité du Parti, aimer le Parti, protéger le Parti et servir le Parti ». La centralisation et le contrôle de la communication extérieure doit permettre aux cadres du Parti de faire face aux critiques visant Pékin en bâtissant un discours international unifié, conforme à la « ligne correcte ». C’est dans cet esprit que Xi Jinping a exhorté les cadres du Parti à renforcer leur « esprit combattant (斗争精神, dòuzhēng jīngshén) », dans un discours à l’École centrale du Parti en septembre 2019. S’adressant aux futurs cadres, il y affirmait qu’il faut « combattre les forces du mal » et ne pas

hésiter « à attaquer pour mieux vaincre ». Un appel aux cadres à devenir des « guerriers osant combattre et étant doués pour le combat ». Dans un autre discours d’octobre 2020 au Musée militaire de la Révolution populaire à l’occasion des 70 ans de la guerre de Corée, Xi Jinping laissait transparaître une même rhétorique martiale : « Nous devons garder à l’esprit la pénible victoire de la guerre de Corée, oser et savoir combattre, persévérer malgré les difficultés, afin de faire avancer la grande cause du socialisme aux caractéristiques chinoises dans la nouvelle ère. »

Dans un discours nationaliste, l’« esprit combattant » incarne l’élan nécessaire pour lutter contre les vents contraires cherchant à freiner la Chine dans sa montée en puissance, une approche qui fait écho à l’attitude volontiers belliqueuse des diplomates chinois dans la crise sanitaire de 2020. Le discours de Xi Jinping à l’École centrale du Parti fait d’ailleurs du « travail diplomatique » l’un des fronts où les cadres du Parti doivent « consolider leur esprit combattant ». La diplomatie se dessine ainsi dans la doctrine officielle comme un des aspects primordiaux d’une stratégie de communication chinoise plus affirmée. La doctrine officielle s’appuie aujourd’hui sur la « pensée diplomatique de Xi Jinping » (习近平外交思想, xíjìnpíng wàijiāo sīxiǎng), érigée en « position directrice » à la Conférence centrale sur les Affaires étrangères de juin 2018. Celle-ci est censée constituer, selon le chef du Bureau de la Commission centrale des Affaires étrangères Yang Jiechi, un « système idéologique scientifique, systématique et complet », et incarner « la richesse spirituelle la plus précieuse de la diplomatie chinoise dans la nouvelle ère ». La pensée diplomatique de Xi Jinping serait non seulement un progrès immense pour la politique étrangère chinoise, mais elle permettrait, selon le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, de « transcender les théories occidentales traditionnelles des relations internationales de ces 300 dernières années ».

Depuis juillet 2020, existe à Pékin un Centre un recherche sur la pensée diplomatique de Xi Jinping, destiné à l’exégèse et à l’approfondissement des théories diplomatiques de ce dernier. Le cœur de cette pensée est la « diplomatie des grands pays aux caractéristiques chinoises » (中国特色大国外交, zhōngguó tèsè dàguó wàijiāo), notion introduite en 2013 pour la première fois par Wang Yi au World Peace Forum. La « diplomatie des grands pays » repose sur des principes peu explicites, dont on peine à percevoir la mise en œuvre concrète : communauté de destin partagé pour l’humanité, coopération gagnant-gagnant, développement, partenariat, compréhension correcte de la justice et des intérêts, démocratisation des relations internationales.

Sous un affichage coopératif, elle a une dimension plus belliqueuse. En août 2020, le Comité du Parti du ministère des Affaires étrangères publie dans le Quotidien du Peuple un « Guide scientifique pour faire progresser la diplomatie aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ». Cet article inscrit l’« esprit combattant » prôné par Xi Jinping dans la doctrine diplomatique, plus explicitement qu’auparavant. Le texte engage les diplomates à « renforcer leur esprit combattant, leur habileté au combat et à valoriser l’art de la lutte ». La connotation guerrière de certains termes appliqués au travail des missions diplomatiques – tels « front diplomatique », ou « grande lutte » –, traduit une conception plus offensive de la diplomatie. Le discours se fait plus agressif encore quand il souligne que la Chine mène une « guerre diplomatique, juridique et d’opinion publique pour contrer les actes hégémoniques des États-Unis dans les domaines de l’économie, du commerce, de la science et de la technologie ».

Les conséquences de la nouvelle diplomatie chinoise

En Chine, la position des diplomates, universitaires ou médias sur l’appellation de « loup guerrier » est ambiguë. Si cette dernière est utilisée par les médias occidentaux pour dénoncer l’attitude agressive de la Chine, elle souligne aussi la démarche héroïque de diplomates défendant la patrie contre les forces étrangères hostiles, à la manière du héros de Wolf Warrior 2, qui contribue ainsi à galvaniser le nationalisme de la population. La « diplomatie du loup guerrier » est tantôt vue comme une nouvelle manière pour les États-Unis de mettre la Chine en accusation, tantôt assumée comme une réponse légitime aux accusations infondées de Washington. Pour le vice-ministre des Affaires étrangères Le Yucheng, le « label “diplomatie du loup guerrier” est en réalité une autre version de la théorie de la “menace chinoise” et un autre “piège du discours”, dont l’objectif est d’empêcher la Chine de contre-attaquer et de la pousser à abandonner le combat ». Il en conclut que « la Chine n’a pas d’autre choix que de s’élever pour la défense de ses intérêts nationaux et de sa dignité ». Pour le chercheur Zhao Minghao de l’université Renmin de Pékin : « La prétendue diplomatie du loup guerrier de la Chine est une réponse à la diplomatie démuselée de l’administration de Donald Trump. » Shen Yi, de l’université Fudan de Shanghai, confie au quotidien Global Times : « Si l’antonyme de “loup guerrier” est “lèche-bottes”, alors il n’y a rien de mal à être un “loup guerrier” dans la lutte contre l’injustice et l’intimidation de l’Occident. » Le producteur de Wolf Warrior 2 Lu Jianmin, s’est lui aussi prononcé dans les médias sur cette question. Pour lui – et dans un registre très inspiré de la sémantique du Parti –, en dépit des humiliations subies à travers son histoire, la Chine « garde toujours une attitude modeste et tolérante envers les autres [puissances étrangères]. Cependant, se montrer humble est parfois perçu comme une faiblesse. Nous devons donc être durs et contre-attaquer les voix réactionnaires dans le monde. »

C’est ainsi que la « diplomatie du loup guerrier » est tout autant dénoncée qu’elle est justifiée en Chine. Le propre de la diplomatie étant de représenter un pays auprès d’un autre et de promouvoir les relations bilatérales, on peut s’interroger sur l’impact de cette approche sur l’image de la Chine à l’étranger. Le manque de transparence du pays durant la pandémie de COVID-19, l’imposition de la loi sur la Sécurité nationale et la répression des mouvements démocrates à Hong Kong, les nouvelles révélations sur le contrôle des naissances et le travail forcé au Xinjiang concourent, tout au long de 2020, à détériorer l’image de la Chine dans le monde. Un sondage publié fin décembre par le Global Times affirmait pourtant que 78 % des personnes interrogées estimaient que l’image internationale de la Chine s’était améliorée ces dernières années – ce sondage a toutefois été conduit sur Internet par le quotidien d’État, à partir d’un échantillon de 1 945 ressortissants chinois en Chine… Trois autres études ont été menées en 2020, dont les résultats sont tout autres. La première, menée par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) et publiée en juin, a révélé que dans neuf États européens étudiés, 48 % des sondés déclaraient que leur perception de la Chine s’était dégradée durant la pandémie (62 % en France et au Danemark), seulement 12 % déclarant qu’elle s’était améliorée. La perception de la Chine s’était dégradée dans huit des neuf pays couverts par l’étude. La deuxième étude, du Pew Research Center des États-Unis, révélait en octobre 2020 que la perception négative de la Chine avait atteint des records dans la plupart des « économies avancées ». Cette perception est défavorable

dans l’ensemble des 14 pays étudiés à travers le monde, avec une moyenne de 73 % d’opinions défavorables. L’étude montre en outre une augmentation significative des opinions défavorables en 2020. La troisième étude, dirigée par l’université Palacky d’Olomouc de République tchèque – en partenariat avec un consortium de chercheurs européens dont l’Ifri –, publiée en novembre 2020 et couvrant 13 pays européens (dont 10 membres de l’UE), montre que les opinions publiques à l’égard de la Chine sont significativement négatives dans 10 des 13 pays étudiés. Les pays présentant une opinion majoritairement favorable sont la Russie, la Serbie et la Lettonie. […]

L’image de la Chine dans la plupart des économies développées s’est significativement dégradée en 2020, parallèlement à une politique intérieure plus répressive et au développement d’une diplomatie agressive et décomplexée. En dépit du sondage produit par le Global Times, on peut raisonnablement penser que Pékin est conscient de la dégradation de son

image. D’après Reuters, l’Institut chinois des Relations internationales contemporaines (CICIR), think tank pékinois de premier plan placé sous la tutelle du ministère de la Sécurité d’État, aurait produit un rapport interne, en avril 2020, estimant que « le sentiment antichinois dans le monde est à son plus haut niveau depuis la répression de la place Tian’an men en 1989 ».

Le nouveau visage de la diplomatie chinoise en 2020 trouve ses fondements dans la stratégie diplomatique développée par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir. Celle-ci se départit résolument du principe de « profil bas » que l’on connaissait depuis Deng Xiaoping, ainsi que des tentatives de construction d’un soft power dans les années 2000. À l’analyse des corpus doctrinaux et des initiatives récentes de promotion de la « pensée diplomatique de Xi Jinping », on peut s’attendre à ce que cette posture reste la nouvelle norme de la diplomatie chinoise, et qu’elle continue de s’affirmer dans ce sens. Cette posture pourrait toutefois poser à Pékin plus de questions qu’elle n’en résout : si elle est efficace pour exalter le nationalisme en interne, ses résultats sur le plan international apparaissent globalement contre-productifs.

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