Découvrez l’analyse par Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère, de l’ouvrage de Véronique Brocard, Les Sortants (Les Arènes, 2020, 336 pages).

En matière de terrorisme, les menaces sont multiples. En 2016, David Thomson a analysé celle des Revenants, dans un ouvrage qui lui a valu le prix Albert Londres[1]. La plupart de ces individus qui rentrent de zone syro-irakienne sont incarcérés. Ils ne représentent toutefois qu’une minorité des 520 détenus pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance djihadiste. 57 d’entre eux devraient sortir de prison en 2021, et 45 en 2022. Ils deviendront alors des Sortants, titre du nouvel ouvrage de Véronique Brocard.

Cette journaliste judiciaire, qui a notamment travaillé pour Libération et Télérama, a obtenu une autorisation exceptionnelle de la direction de l’Administration pénitentiaire pour mener une longue enquête sur la gestion de la radicalisation en milieu carcéral. Elle a multiplié les entretiens avec des agents pénitentiaires occupant des fonctions variées (surveillants, conseillers de probation, psychologues, éducateurs, membres de la direction, etc.), a consulté les dossiers de 65 détenus, et a pu assister à plusieurs commissions pluridisciplinaires uniques, où les professionnels échangent sur l’évolution des détenus radicalisés.

Le phénomène de la radicalisation en prison n’est pas nouveau. Le sociologue Farhad Khosrokhavar lui a déjà consacré un ouvrage il y a quinze ans[2]. L’afflux de centaines de détenus TIS (« terroristes islamistes ») à partir de 2014 a toutefois changé la donne, et déstabilisé l’Administration pénitentiaire. Dans un livre à succès paru en 2020, Hugo Micheron qualifiait la prison d’« ENA du djihad[3] », et dénonçait la mauvaise évaluation de la menace par des agents insuffisamment formés.

Véronique Brocard montre comment, une fois la phase de déstabilisation passée, cette administration a su s’adapter. Une doctrine a été conçue autour du triptyque évaluation, orientation, prise en charge. Les détenus radicalisés passent ainsi quatre mois dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), où ils sont soumis à l’expertise de spécialistes de différentes disciplines. À l’issue de cette période, ils sont orientés, en fonction de leur imprégnation idéologique et de leur rapport à la violence, vers l’isolement, la détention classique ou, pour les cas intermédiaires, les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).

Ce dispositif a déjà été présenté dans les médias. La nouveauté et la richesse du travail de Véronique Brocard résident dans les nombreux témoignages et exemples recueillis, qui permettent de mieux appréhender la difficulté du traitement de la radicalisation. Le lecteur est mis en capacité de mesurer la diversité des profils concernés par l’incrimination d’association de malfaiteurs terroriste, et la nécessité d’une prise en charge, si ce n’est individualisée au moins différenciée. Les professionnels interviewés font part de certaines réussites, mais ne cachent pas leurs doutes et, parfois, leurs frustrations. En somme, Les Sortants offre un propos nuancé sur un sujet qui suscite bien des passions. Sa lecture est utile, à défaut d’être rassurante.

Marc Hecker
Rédacteur en chef de Politique étrangère

>> S’abonner à Politique étrangère <<


[1]. D. Thomson, Les Revenants, Paris, Seuil/Les Jours, 2016. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2017 de Politique étrangère.

[2]. F. Khosrokhavar, Quand Al-Qaïda parle. Témoignages derrière les barreaux, Paris, Grasset, 2006.

[3]. H. Micheron, Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, Prisons, Paris, Gallimard, 2020. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2020 de Politique étrangère.