Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Zéphyr Dessus propose une analyse de l’ouvrage de Christine Ockrent, La guerre des récits. Xi, Trump, Poutine : la pandémie et le choc des empires (Les éditions de l’Observatoire, 2020, 192 pages).

Alors que les tensions internationales s’aggravent avec une pandémie qui met la planète à genoux, Christine Ockrent analyse la guerre que mènent les grandes puissances pour promouvoir leur version des faits. L’auteur examine comment la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Europe tentent d’inscrire la crise du COVID-19 dans leurs récits nationaux, avec pour objectif de convaincre les populations, et aussi peut-être les historiens, de la supériorité de leur modèle. La journaliste décompose bloc par bloc cette guerre de propagande qui constitue la toile de fond de la géopolitique à l’ère du coronavirus.

À travers son examen critique du récit promu par le Parti communiste chinois, on comprend mieux sa dangerosité pour l’imaginaire collectif d’une société devenue orwelienne. Censurant initialement toute parole, citoyenne ou scientifique, sur l’épidémie de COVID-19, le pouvoir chinois a progressivement transformé la situation en outil de propagande : livraison de masques à l’international, construction expéditive d’hôpitaux à Wuhan, apologie de l’action du président Xi. La « guerre du peuple » – selon la formule des autorités – doit démontrer la ténacité de l’Empire du Milieu.

Sur le front américain, le récit est monopolisé par un président en campagne qui cherche à défendre son bilan économique coûte que coûte. Obnubilé par sa propre image, Donald Trump dicte son récit et alterne entre l’absurde – affirmant qu’il connaît ces sujets mieux que quiconque – et le dangereux – en politisant le port du masque et en incitant éventuellement ses concitoyens à ingurgiter du détergent. La faiblesse du système social américain éclate alors au grand jour : 30 millions d’Américains sans assurance maladie, l’obésité courante, et la crise des opiacés constituent pour la première puissance mondiale une recette mortifère, à la fois pour ses citoyens et pour son image.

En Russie, Vladimir Poutine « a perdu le contrôle du récit ». Alors que la situation empire, que la population gronde, que des médecins se suicident et que l’État ment sur les chiffres de l’épidémie, le président russe s’isole et délègue la responsabilité des décisions impopulaires. Forcé de reporter la cérémonie du 75e anniversaire de la victoire de l’armée soviétique et la tenue du référendum constitutionnel, le Kremlin a une difficulté croissante à maîtriser sa communication.

Et l’Europe dans tout ça ? L’Union européenne, qui ne compte pas la santé au nombre de ses compétences, vacille, dépassée par la férocité des événements et le retour du chacun pour soi. Sa lenteur bureaucratique et la faiblesse de sa communication ne font que contribuer à un sentiment d’abandon. L’auteur relève cependant que les Européens ont su progressivement reprendre leur récit en main, confrontés à une crise existentielle. Accord de relance budgétaire, renforcement du contrôle des investissements étrangers, coordination pour la commande des vaccins… : les circonstances pourraient constituer une opportunité pour le continent.

En décrivant la guerre psychologique que se mènent les puissances, Christine Ockrent propose une grille de lecture inédite et pourtant essentielle pour mieux comprendre les rapports de force internationaux à l’ère de la pandémie.

Zéphyr Dessus

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