Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Morgan Paglia, doctorant et ancien chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Arash Azizi, The Shadow Commander: Soleimani, the U.S., and Iran’s Global Ambitions (Oneworld Publications, 2020, 304 pages).

Arash Azizi dresse ici le portrait de Qassem Soleimani, général iranien commandant de la force Al-Qods, le prestigieux corps d’élite en charge des opérations extérieures et clandestines au sein des Gardiens de la révolution islamique d’Iran.

Si le nom de Soleimani était peu connu en Europe occidentale avant qu’il soit tué le 2 janvier 2020 par une frappe de drone américain sur le tarmac de l’aéroport de Bagdad, il l’était davantage en Amérique du Nord pour son rôle déterminant dans l’insurrection contre les troupes américaines en Irak. Après y avoir orchestré la politique de subversion contre l’occupant américain, il a joué un rôle central dans la défense du régime syrien et dans la lutte contre l’État islamique en Irak.

Pourtant, rien n’indiquait dans le parcours du jeune Soleimani qu’il finirait par avoir une telle influence sur les affaires de son pays, en Iran et au Moyen-Orient. Issu d’un village de Kerman, province située aux marches de l’empire du Shah, d’origine modeste, il s’engage dans les Gardiens de la révolution pour défendre son pays. Ses qualités de combattant et de chef militaire pendant la guerre Irak-Iran lui valent d’être remarqué et de gravir les échelons de ce corps paramilitaire, érigé en bras idéologique du régime. Une fois la guerre avec l’Irak terminée, Soleimani mène la lutte contre les trafiquants de drogue et les contrebandiers qui sévissent à la frontière avec l’Afghanistan. La guerre civile qui ravage le pays au début des années 1990 le conduit à Kaboul, où ses rencontres avec les chefs de l’Alliance du Nord préfigurent la suite de sa carrière, partagée entre le terrain et des rencontres régulières avec les chefs politiques de la région.

Ses interlocuteurs décrivent un personnage modeste, courtois et charismatique. Un ancien chef du Mossad, interrogé dans une enquête publiée par le New Yorker, résumait ce subtil mélange en mentionnant qu’« il était politiquement intelligent ». Ce sont certainement ses capacités d’adaptation qui lui ont permis d’aborder sans les antagoniser des personnages politiques comme Nouri al-Maliki en Irak, Hassan Nasrallah au Liban, et de manière plus anecdotique le président russe Vladimir Poutine, à qui il rend visite personnellement en juillet 2015 pour lui demander d’appuyer le régime syrien. Soleimani a été aussi favorisé par le hasard des rencontres, et notamment celle d’Ali Khamenei, président de la République islamique dans les années 1980 et Guide suprême à partir de 1989, qui l’a nommé à la tête d’Al-Qods en 1998.

En dépit de l’habileté de l’auteur, qui parvient à convaincre du sérieux de son enquête grâce à un grand nombre de sources iraniennes, et à ses allers-retours constants entre l’histoire individuelle de Soleimani et l’histoire de l’Iran, des zones d’ombre persistent sur le personnage. Indéniablement, le travail d’historien sur Qassem Soleimani n’est pas terminé et ses futurs biographes devront composer avec plusieurs récits : la version écrite par le régime iranien – celle du héros, icône de la martyrologie chiite – ; la version de cet ouvrage, qui dresse le portrait d’un homme d’action estimé tant par ses adversaires que ses alliés… On attend désormais l’histoire personnelle, plus secrète, de l’homme et de la réalité de sa place dans les réseaux de pouvoir en Iran et au-delà, dans les pays voisins.

Morgan Paglia

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