Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Simon Tay, Shadows across the Golden Land: Myanmar’s Opening, Foreign Influence and Investment (World Scientific Publishing, 2020, 476 pages).

Cet ouvrage retrace tout d’abord l’histoire compliquée de ce pays, si compliquée d’ailleurs que les malentendus s’accumulent et alimentent les tensions récurrentes entre acteurs locaux et étrangers (chapitres 1, 2 & 3). Pour approfondir et illustrer son propos, l’auteur consacre deux chapitres (chapitres 6 & 7) à la crise « simple et complexe » des Rohingyas, illustration exemplaire de ces malentendus.

Son deuxième intérêt est d’expliquer dans quel état d’esprit les Birmans engagent des relations avec leurs partenaires étrangers. Nombre d’illustrations sont données de l’isolement que l’armée birmane – la Tatmadaw – a imposé à la population entre 1962 et la fin des années 1990, et de ses conséquences : d’un côté, une population désireuse de « normaliser » ses relations avec d’éventuels partenaires ; de l’autre une armée, indifférente aux opinions qu’on a d’elle, touchée par un complexe obsidional qui ne s’épuise pas, comme l’ont montré les récents événements.

Troisième intérêt de l’ouvrage : le bilan de la transition économique entreprise depuis 2012, et des besoins d’une économie qui était encore en forte croissance avant la pandémie et le coup de force du 1er février 2021.

Dense et détaillé, ce livre donnera à l’homme d’affaires pressé le sentiment de comprendre à la fois le contexte général, l’histoire et les enjeux à venir, ainsi que les mentalités si spécifiques à ce pays ; dans une économie « en or » (Golden Land), bien nantie en matières premières et dont les opportunités paraissaient infinies tant le niveau de départ était faible, ces paramètres – leur présentation demeure toutefois académique et souvent descriptive – permettent un premier défrichement utile.

Alors que la communauté internationale avait crié haro sur l’attitude de l’Armée, comme sur celle d’Aung San Suu Kyi après la crise des Rohingyas (laquelle a provoqué un vrai coup d’arrêt aux investissements directs étrangers et aux flux touristiques), Simon Tay incite dans ce texte publié en 2020 à aller au-delà : « seules des interactions régulières et dynamiques permettraient de construire le Myanmar de demain ». Au printemps 2021, l’argument mérite qu’on s’y arrête ; en filigrane, se dessine le sujet très sensible de la responsabilité politique et sociale des entreprises et investissements étrangers dans des pays aux régimes encore instables, où les dirigeants peuvent ne pas hésiter à violenter – à mort – les populations.

On pourra regretter que Simon Tay valide trop rapidement les arguments en faveur du rôle central de l’armée, et préconise une coopération plus engagée de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi avec les principaux dirigeants de la Tatmadaw. L’impact des militaires sur les circuits économiques, leur prédation des processus décisionnels, ne sont pas présentés dans leur juste proportion. Peut-être la fin de la lecture laisse-t‑elle entrevoir un malentendu supplémentaire entre les lecteurs occidentaux que nous sommes et l’auteur, chinois singapourien qu’il est : au fond, pour ce dernier, le processus politique et la transition démocratique passent bien après les opportunités économiques.

Sophie Boisseau du Rocher

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