Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Morgan Paglia propose une analyse de l’ouvrage d’Alice Pannier et Olivier Schmitt, French Defense Policy Since the End of the Cold War (Routledge, 2020, 208 pages).

Les auteurs ont longuement étudié dans leurs travaux précédents les mutations stratégiques contemporaines et leur influence sur le fonctionnement du système d’alliance euro-atlantique. Dans cet ouvrage, ils adoptent l’angle plus précis des inflexions de la politique de défense française depuis la fin de la guerre froide, qu’ils traitent selon un séquencement chronologique, de 1991 jusqu’à la crise du COVID-19.

La transformation de l’armée de conscription centrée sur la défense opérationnelle du territoire en une armée de métier tournée vers les opérations expéditionnaires a constitué une rupture majeure, analysée à travers l’ensemble de l’ouvrage. Les six chapitres abordent chacun un des aspects plus spécifiques de cette mutation : le champ des relations civilo-militaires, la modernisation capacitaire des armées françaises, l’industrie de défense, le rapport à la dissuasion nucléaire, ou encore les relations avec les pays partenaires. Les auteurs s’attachent en même temps à déconstruire les représentations qui ont guidé la politique de défense française tout au long de cette période : la recherche de la « grandeur », malgré les ressources contraintes d’une puissance moyenne, la quête de l’autonomie stratégique en dépit de la nécessaire coopération internationale, l’ambition inextinguible – mais souvent déçue – de construire la défense française avec l’Europe.

L’alternance des phases d’apaisement – au sortir de la guerre froide – et de durcissement du contexte stratégique – dans la période plus récente – a aussi bouleversé le rapport du militaire aux différentes dimensions de son métier : son rapport au politique, l’organisation interne des armées – les reconfigurations structurelles et bureaucratiques sont longuement évoquées –, ses relations avec une société qui a du mal à comprendre les tenants et aboutissants d’une action militaire souvent portée loin du territoire métropolitain. D’abord tentés par la normalisation du métier des armes par rapport aux autres secteurs professionnels, les militaires français ont finalement dû réintégrer une dimension épique et guerrière dans leur narratif vis-à-vis de la population et des institutions, durcissement des conflits oblige.

Ce qui fait la force de cet ouvrage, outre sa construction claire et détaillée, c’est aussi qu’il expose, dans chacun des sous-thèmes étudiés, les questionnements particuliers des auteurs de la communauté stratégique française, chercheurs, journalistes, militaires, ou issus de la classe politique, si bien que, par-delà la réflexion initiale centrée sur la France et son débat stratégique, l’ouvrage éclaire les mécanismes qui, plus généralement, influencent la réforme des institutions militaires en démocratie, et la place des représentations dans le comportement des États.

Les indications très complètes qu’il comprend sur le passé, le présent et les enjeux futurs de la politique de défense française font de cet ouvrage un outil essentiel pour tout professionnel ayant intérêt à approfondir ses connaissances sur la place du militaire en France.

Morgan Paglia

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