Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Elena Roubinski, collaboratrice du Centre Russie/NEI de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Isabelle Mandraud et Julien Théron, Poutine, la stratégie du désordre (Tallandier, 2021, 384 pages).

La première partie de cet ouvrage retrace les ramifications historiques des méthodes russes. Les auteurs théorisent le « poutinisme » non comme une idéologie mais comme un patchwork de fragments slavophiles et d’éléments conservateurs européens, dont la détestation de l’Occident constitue le cœur battant. À partir de la peur omniprésente de la calamité dans la société russe, le Kremlin a fait du révisionnisme historique un pilier de sa rhétorique autoritaire, Poutine devenant ainsi une des têtes d’affiche du conservatisme. Cette politique entre en résonnance avec le vécu de la majorité des citoyens russes, mais fait aussi écho aux critiques toujours plus nombreuses dans le monde du modèle occidental.

Instrumentalisant tous les troubles susceptibles d’ébranler les puissances occidentales, le Kremlin navigue en tentant d’imposer à l’international ses propres règles du jeu. Tout en défendant rhétoriquement les principes de souveraineté et d’équilibre international, Moscou défend ses intérêts et promeut une « dérégulation internationale qui favorise l’autocratie ».

La Russie pousse au désordre, essayant de déstabiliser ses adversaires, avec pour objectif l’effondrement social des pays occidentaux, à travers la guerre de l’information menée par les chaînes russes, ou les cyberattaques visant les démocraties occidentales.

La deuxième partie du livre se penche sur quelques terrains d’application des méthodes poutiniennes sur la scène internationale. Au premier rang : l’Ukraine, de loin le terrain le plus important pour le chef du Kremlin. Le conflit se traduit ici aux plans religieux, infrastructurel et économique. Poutine l’évoquait avant même son arrivée au pouvoir à travers l’expression de Novorassia. Minsk I et II n’ont rien changé au jeu de déstabilisation de Poutine – comme le résume Frank Gorenc : « Monsieur Poutine n’est contraint par rien. »

Il convient pourtant de relativiser cette assertion. Poutine peut faire des choix qui s’avèrent potentiellement défavorables au plan interne : les auteurs rappellent que l’intervention en Syrie a été pour Moscou le moyen de prouver sa puissance mais que l’euphorie est rapidement retombée, cet engagement devenant impopulaire.

La grandeur de la Russie n’arrive que loin dans la liste des aspirations des Russes, mais le langage impérial est toujours présent dans la communication du Kremlin. C’est cette logique que l’on retrouve dans les relations de Moscou avec les pays de l’ex-URSS, que Poutine voit comme une zone « à protéger ». En témoigne le projet d’union avec la Biélorussie, et l’agacement de Poutine face à ce qu’il considère comme le « double jeu » de Loukachenko.

Ce livre place Vladimir Poutine au centre de l’agitation du monde. Les auteurs proposent une analyse synthétique et approfondie de la complexe stratégie russe, décrivant les diverses étapes de cette « politique du désordre », ses objectifs stratégiques et les moyens mis en place par le Kremlin pour les atteindre.

Elena Roubinski

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