A la suite de la victoire des islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD) aux élections législatives marocaines, nous vous invitons à relire l’article intitulé « Maroc: l’émergence de l’islamisme sur la scène politique« . Cet article, paru dans Politique étrangère en 2005, a été rédigé par Khadija Mohsen-Finan.

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Voici une dizaine d’années, il paraissait incongru d’évoquer l’islamisme marocain, tant était ferme la conviction que la fonction religieuse du roi mettait le pays à l’abri de ce phénomène. Les attentats de Casablanca (2003) ou de Madrid (2004), impliquant nombre de Marocains, ont brisé cette croyance longtemps cultivée par le pouvoir marocain. Au-delà de cette actualité, un parti islamiste s’est progressivement imposé sur la scène politique marocaine en l’espace de huit ans, représentant aujourd’hui la première force de l’opposition reconnue.

Le Parti de la justice et du développement (PJD) s’est réellement imposé par le biais des élections législatives. La présence remarquée de ses députés contribua à sortir le Parlement de sa longue léthargie. Mis à l’index pour sa « responsabilité morale » dans les attentats de Casablanca par une société traumatisée et hantée par le spectre algérien, les cadres du PJD réussirent à braver les stigmates, en affichant une attitude consensuelle sur nombre de questions. Progressivement, le PJD semblait perdre son caractère particulier de parti d’opposition, supposé tiède dans son attachement à la monarchie. Quel est donc le sens de cette entrée de l’islamisme dans l’espace politique marocain ? Et dans quelle mesure l’existence d’une composante islamiste dans le jeu politique influe-t-elle sur le jeu international du Maroc ?

UN ISLAM ANCRÉ DANS L’ESPACE POLITIQUE

Plus que dans tout autre pays de la région, au Maroc, islam et politique sont intrinsèquement liés. L’histoire de la monarchie marocaine ne saurait être dissociée de la sacralité qui lui a été octroyée. Avant l’indépendance, le sultan était déjà considéré comme chérif — descendant du prophète Mohamed par sa fille Fatima. L’origine chérifienne de la dynastie, revendiquée par le monarque, est intériorisée par la majorité de la population. Cette filiation supposée de la dynastie alaouite, s’accompagne d’une piété affichée. La monarchie, qui entretenait de bonnes relations avec les confréries ou Zaouias, s’est également entourée des oulémas, ces fameux docteurs de la foi. Ce n’est qu’en 1962 que le roi se voit attribuer le statut de commandeur des croyants. Progressivement, la monarchie marocaine s’est approprié la sphère religieuse, par un travail minutieux, entamé par Mohamed V et consolidé par Hassan IL Ce dernier réforme les institutions religieuses en profondeur avec un double souci : la religion lui est nécessaire pour légitimer son pouvoir, mais la sphère religieuse ne doit en aucun cas devenir une tribune concurrente, incontrôlable par la monarchie.

Mohamed Tozy note que « le roi, dont la légitimité est essentiellement religieuse, ne peut, de par son statut de commandeur des croyants (Amir al-mouminin), accepter de reconnaître explicitement les expressions concurrentes de l’islam, car cela équivaudrait à reconnaître un schisme dans la communauté, qui entamerait sa vocation monopolistique et affaiblirait la légitimité chérifienne ». En dépit de la centralité du religieux dans le système politique marocain, il serait vain de croire que ce religieux se limite à une institution homogène. Malika Zeghal explique que Hassan II a beaucoup oeuvré à la « fragmenter » pour mieux l’affaiblir, et que la véritable institution religieuse reste au final la monarchie. Mais « celle-ci ne peut fonctionner autour d’un seul homme — le roi —, ou de sa lignée : il lui faut l’apport de ces hommes de religion éparpillés dans l’espace que la monarchie a fragmenté ».

L’émergence de l’islamisme politique remet en cause le monopole de la monarchie sur le religieux. Les islamistes tentent de dissocier l’islam de la monarchie marocaine. Dès le début des années 1990, Hassan II tentera de contrôler l’islamisme marocain, en isolant sa composante radicale et en intégrant au système politique ceux qui lui paraissent les plus respectables et susceptibles d’être l’interface entre le mouvement islamiste et le palais. La reconnaissance du primat de la monarchie étant bien sûr la condition d’entrée dans l’espace politique à la faveur d’une alternance.

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