Dans cet article écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (paru dans Politique étrangère en 1946), Pierre Rondot analyse l’évolution de la situation des chrétiens vivant en terre d’Islam. Protégés par les puissances européennes, ils ont pu survivre malgré les discriminations subies et même développer une élite intellectuelle qui a pris la tête du « mouvement arabe » dès la seconde moitié du XIXe siècle. Si la présence chrétienne est loin d’être acceptée dans l’ensemble du monde musulman, le Liban et son système de représentation proportionnelle font alors figure d’« heureuse expérience ».

Observateur aigu de l’opinion française, Henri Heine notait, en 1840, que « tout Paris avait tressailli au son du canon de Beyrouth ». En mai et juin derniers, c’est une émotion analogue que les événements de Syrie, malgré tant d’autres soucis bien lourds, ont provoquée dans toute la France. Notre diplomatie s’est efforcée, depuis lors, d’édaircir la situation au Levant ; d’ores et déjà, un important accord franco-britannique a pu être réalisé ; néanmoins, cette profonde émotion n’a point complètement disparu. La défense d’intérêts français légitimes, en effet, n’est pas seule en jeu ; beaucoup de voix autorisées ont rappelé à la France qu’il s’agissait pour elle de l’accomplissement d’une mission sacrée, car sa présence dans le Levant a constamment été associée à la sauvegarde des chrétientés d’Orient.


C’est, en effet, en témoignage de cette œuvre séculaire que fut confié à notre pays, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mandat sur la Syrie et le Liban. Pour tenter de discerner comment peut et doit, dans les difficiles circonstances présentes, continuer de s’exercer la vocation de la France au Levant, il ne suffirait donc pas de soumettre à la critique la tâche accomplie durant ces vingt années de mandat, si courtes, et parfois si gravement troublées. Il y aurait quelque danger à repenser rétrospectivement notre politique dans le seul cadre d’une formule dès l’origine provisoire et désormais dépassée. Au demeurant, cette enquête ne nous livrerait que les éléments les plus récents, les plus instables, d’un problème qui ne peut être dominé que dans son ensemble historique et social.
Si austère, si peu actuel que cet effort puisse paraître, il nous faut donc remonter jusqu’aux origines des sociétés chrétiennes du Levant. Le lent développement de leurs rapports avec l’Islam comme avec l’Occident peut seul nous faire comprendre combien est complexe leur actuel équilibre et de quels éléments contradictoires et indissolubles il est issu. Au terme de cet examen, nous apercevrons clairement les dangers de ces solutions simplistes, dont l’air de générosité ou de facilité abuse trop souvent ; mais peut-être discernerons-nous aussi, dans l’écheveau du réel, les quelques fils solides encore qui s’offrent au choix des politiques.

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