Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2012). Élisabeth Marteu, enseignante à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Sciences Po, propose une analyse de l’ouvrage de Benjamin Barthe, Ramallah Dream : voyage au cœur du mirage palestinien (Paris, La Découverte, 2011, 271 pages).

Cet ouvrage est le récit d’une triste réalité palestinienne où se croisent diplomates, hommes d’affaires et activistes dans l’illusion d’un État qui n’en est pas un. L’ouvrage, bien documenté et bien écrit, éclaire l’envers du décor de l’Autorité palestinienne comme de la ville de Ramallah, deux symboles d’une même coquille vide tenue en « vie artificielle » par la communauté internationale.
L’introduction s’ouvre sur une histoire : « Il était une fois une bureaucratie sans État, une superstructure hors sol, un pays doté d’institutions de plus en plus sophistiquées mais incapable de les utiliser. » C’est d’un réalisme implacable que fait preuve l’auteur, qui décrit en huit chapitres les rouages d’une entité paradoxale, voire d’un « pays impossible ».
Le chapitre 1 revient sur l’histoire de Ramallah, érigée en capitale économique depuis la fin des années 1990, la création de l’Autorité palestinienne et le retour des Palestiniens de l’extérieur. Le village se transforme alors en centre globalisé accueillant aussi bien les militants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qu’une élite palestinienne occidentalisée de plus en plus éloignée de la réalité locale. Ramallah symbolise ainsi cette capitale politique et économique d’un non-État, une « bulle » de restaurants et autres lieux de sorties pour quelques VIP vivant dans un artifice de modernité et d’ouverture sur le monde. En réalité, Ramallah vit aussi au rythme des check points, des restrictions de circulation et de la colonisation israélienne.
Le chapitre 2 décrit cette « matrice coloniale » comme un système politique et urbain visant à fragmenter l’espace palestinien en le grignotant et en limitant toute continuité territoriale, pourtant indispensable à la viabilité étatique. Déjà compartimentée en zones A, B et C, la Cisjordanie devient une « peau de léopard » où l’Autorité palestinienne ne jouit d’une autonomie que sur moins de 18 % du territoire. D’où le « décalage énorme entre le vocabulaire, qui donne l’illusion des attributs de l’État, et la réalité, qui implique un degré de sujétion insoupçonné ».
Le chapitre 3 revient dès lors sur les failles des institutions palestiniennes, pourtant au cœur du projet politique de l’actuel Premier ministre Salam Fayyad. Pour ressembler à un État, et surtout pour rassurer et convaincre la communauté internationale, le leadership palestinien s’est lancé en 2007 (après la victoire du Hamas aux élections législatives et la scission avec Gaza) dans un vaste projet de modernisation économique et institutionnelle. Censées poser les bases d’un futur État palestinien, ces réformes sembleraient avoir plutôt exacerbé les tensions sociales, la mainmise du Fatah sur les institutions palestiniennes de Cisjordanie, ainsi que les contradictions entre une sophistication croissante et une absence de prise sur le terrain.
Les chapitres 4 et 5 sont consacrés à cette gouvernance néolibérale dictée par la communauté internationale et les bailleurs de fonds. À coups de quick impact projects, de logiciels informatiques pointus, d’agences de développement privées et de financements à crédit, les territoires palestiniens sont devenus un laboratoire pour experts du state-building. Pourtant, cette mise sous assistanat du peuple palestinien et de ses institutions a conduit à sa dépolitisation, à sa déconnexion de la lutte nationale et au désengagement d’une partie de la jeunesse palestinienne et d’une classe privilégiée vivant à Ramallah. Benjamin Barthe jette dès lors un regard désabusé sur le bilan du gouvernement Fayyad qui, sous couvert de « paix économique », aurait en réalité renforcé le « dédéveloppement » des territoires palestiniens (en référence aux travaux de Sara Roy), les inégalités socioéconomiques et la fracture entre la Cisjordanie et Gaza. Le leadership palestinien est donc accusé par l’auteur de faire le jeu des Israéliens.
Le chapitre 6 insiste d’ailleurs sur les alliances de circonstance entre l’Autorité palestinienne et l’appareil militaro-sécuritaire israélien qui s’accordent sur un ennemi commun : le Hamas. Se transformant progressivement en « non-État policier », l’Autorité palestinienne sombrerait dans un déni de démocratie pour « maintenir le système en vie » ou plutôt pour « gagner du temps, jusqu’à la prochaine explosion ».
Les deux derniers chapitres concluent sur l’incapacité de la communauté internationale (notamment de la diplomatie française et européenne) à infléchir le « regressus de paix », mettant au jour des tractations toujours plus contraignantes pour les Palestiniens, des sacrifices impossibles à faire (même pour contenter les Américains) et des rapports de force durablement à l’avantage des Israéliens.
Les négociations israélo-palestiniennes sont donc aujourd’hui dans l’impasse, éloignant chaque jour un peu plus l’avènement d’un État palestinien indépendant au profit de quelques illusions et castes de privilégiés.

Élisabeth Marteu

Pour acheter PE 3/2012, cliquez ici.
Pour vous abonner à
Politique étrangère, cliquez ici.