PE 1963Alors que les célébrations du 50e anniversaire du traité de l’Élysée battent leur plein, nous vous proposons de relire un article publié dans Politique étrangère en 1963, avant même la ratification de ce traité. Cet article intitulé « L’amitié franco-allemande et l’Europe » a été rédigé par Joachim Willmann qui était alors secrétaire général du groupe allemand du Comité européen pour le progrès économique et social.
Télécharger le PDF de l’article complet ici.

L’AMITIÉ FRANCO-ALLEMANDE ET L’EUROPE

L’Allemand qui est de passage à Paris et qui passe par le Quai d’Orsay s’arrête devant la statue de Briand. La mémoire de ce grand homme d’État est entourée en Allemagne d’une vénération extraordinaire. En effet, Briand est non seulement le premier Français de ce siècle qui se soit efforcé de régler le contentieux franco-allemand, mais c’est aussi celui qui a conçu, au cours des années 1920, le projet, révolutionnaire pour l’époque, de faire de l’amitié entre les deux peuples le noyau d’une plus grande Europe.
Vint la guerre ; jamais les relations franco-allemandes n’avaient connu de jours aussi sombres. Fort heureusement, au lendemain du conflit, se trouvèrent, à la tête du peuple français et du peuple allemand, des hommes qui étaient prêts à poursuivre la tentative d’un rapprochement franco-allemand amorcée par Briand et par Stresemann. En France et hors de France, on était d’accord pour considérer la réconciliation entre la France et l’Allemagne comme la condition sine qua non d’une unification de l’Europe.
Avec la CECA, Robert Schuman et Jean Monnet d’une part, Konrad Adenauer et Walter Hallstein d’autre part posèrent la première pierre de l’édifice d’intégration. L’entreprise connut plus d’un échec : le plus grave fut sans doute le rejet, par le Parlement français en 1954, du traité de la CED. Toutefois, même cet accident ne parvint à arrêter la construction ni de l’amitié franco-allemande, ni de l’unité européenne. Au contraire, la création de la Communauté économique européenne et de l’Euratom marquèrent des progrès nouveaux et décisifs dans la voie de l’intégration.
L’avènement au pouvoir du général de Gaulle dans le printemps de 1958 ne fut pas accueilli en Allemagne sans réserves. En tant que chef de la France libre, le général de Gaulle avait été pendant la seconde guerre mondiale le symbole de la résistance à l’Allemagne et beaucoup d’Allemands craignaient que le processus de réconciliation franco-allemande et l’amitié naissante entre les deux peuples ne subissent un coup d’arrêt.
Les cinq années qui viennent de s’écouler nous ont montré à quel point ces craintes étaient infondées. Le général de Gaulle a renforcé les liens entre la France et l’Allemagne plus que personne ne le prévoyait en 1958. Le peuple allemand lui en sait gré : lors de sa visite officielle en République fédérale, au cours de l’année dernière, le président de Gaulle a pu se rendre compte de l’étendue de sa popularité parmi les Allemands.
Si le Traité de coopération franco-allemand du 22 janvier 1963 n’a pas soulevé en Allemagne, malgré tout, un enthousiasme sans partage, ce n’est pas que le peuple allemand désire moins qu’il y a un an s’entendre avec la France ; c’est plutôt que la coïncidence, purement fortuite, entre la date de la signature du traité et d’autres événements internationaux a donné lieu à des interprétations erronées quant aux objectifs du traité lui-même. Le fait est regrettable : car, si on l’envisage objectivement, le traité est avant tout la manifestation de la réconciliation franco-allemande. Notre propos est donc d’examiner ici, d’une part, quelles perspectives d’une politique commune le traité ouvre aux deux gouvernements, et quelles sont, d’autre part, les limites d’une telle politique.
Dans les déclarations faites par le président de la République française et par le chancelier de la république fédérale d’Allemagne à l’occasion de la signature du traité, on souligne que « le renforcement de la coopération entre les deux pays représente un progrès essentiel dans la voie de l’Europe unie, qui est l’objectif des deux nations ». Cette affirmation doit être approuvée sans réserve. La question ne se pose pas moins de savoir si l’on est d’accord sur ce que l’on entend par Europe unie. En ce qui concerne le gouvernement fédéral, cette expression — il faut le souligner — implique, aujourd’hui comme hier, une intégration économique et politique des États membres conçue comme aboutissement du processus unitaire. Dans l’esprit de la République fédérale, la CEE n’a jamais été qu’une étape vers l’unité politique de l’Europe ; l’objectif final étant la création d’un État européen qui absorberait les divers États nationaux. Il va de soi que, même en Allemagne, personne ne pense que cela puisse se faire d’un seul coup ; on reconnaît qu’il faudra un certain temps pour assurer la transition.

 Lire la suite de l’article en PDF

Joachim Willmann