Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Olivier Schmitt propose une analyse de l’ouvrage de Geraint Hughes, My Enemy’s Enemy: Proxy Warfare in International Politics (Eastbourne, Sussex Academic Press, 2012, 250 pages).

Quelles sont les conséquences de l’instrumentalisation par les États de clients locaux pour avancer leurs intérêts à l’étranger ? Geraint Hughes se penche sur l’un des plus vieux phénomènes de l’histoire de la guerre : le soutien apporté par certains États à des groupes armés conduisant une insurrection ou des actions de guérilla dans un autre pays, comme complément ou substitut à un engagement direct de leurs propres troupes. De nombreux exemples de ce mode d’action peuvent être avancés : depuis le soutien britannique aux Hollandais contre les Espagnols au XVIe siècle jusqu’aux grandes heures de la guerre froide, la pratique est courante. L’Iran est aujourd’hui régulièrement accusé d’instrumentaliser le Hezbollah et le soutien russe aux mouvements « indépendantistes » d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud n’est pas un secret.
La thèse principale de l’ouvrage est que l’utilisation de clients locaux fournit des avantages stratégiques de court terme, néanmoins contrecarrés par les conséquences négatives de long terme, à la fois pour les États utilisant les clients et pour les clients eux-mêmes. Le premier chapitre détaille les motivations des États pour instrumentaliser des clients au service de leurs propres objectifs stratégiques. Les clients peuvent constituer un outil de coercition à moindre coût, un adjuvant dans une campagne militaire, un moyen d’obtenir des renseignements ou de maintenir des zones d’influence, etc. Mais l’utilisation de clients peut avoir des conséquences inattendues. Les clients eux-mêmes peuvent être abandonnés ou trahis par leurs sponsors, être amenés à s’engager dans des conflits qu’ils ne peuvent gagner ou chuter dans la dépendance vis-à-vis de leurs soutiens. Pour les États, l’utilisation de clients peut avoir des conséquences diplomatiques négatives (les États-Unis avec les Contras) : les clients peuvent se révéler inefficaces ou entraîner l’escalade dans un conflit que l’État sponsor souhaitait contrôler. L’auteur étudie ensuite en détail trois cas d’école : l’Angola entre 1974 et 1991, le Liban entre 1975 et 1990 et l’Afghanistan entre 1978 et 1992.
L’ouvrage reste hélas peu convaincant faute de méthodologie précise. G. Hughes avance que les études de sécurité internationale utilisant majoritairement une approche quantitative (ce qui est faux), il entend recourir aux outils de l’historien. Là où on s’attendrait donc à une monographie empirico-descriptive couvrant l’histoire du phénomène, l’auteur utilise au contraire la méthodologie classique d’une science politique qu’il prétend combattre : une approche hypothéticodéductive validée par des études de cas. Cette approche peut produire d’excellentes analyses, mais en obéissant à des règles méthodologiques qui ne sont pas respectées ici. En particulier, il s’agit d’établir théoriquement des mécanismes (ce que l’auteur ne fait pas, se contentant d’un catalogue d’effets possibles) validés par des études de cas choisies selon des critères précis. Or on ne sait absolument pas pourquoi l’auteur a choisi ces trois cas et pas d’autres, ce qui met en doute l’intégrité de son analyse. Cette méthodologie défaillante conduit l’ouvrage à une liste de banalités sur l’utilisation des clients, illustrée d’anecdotes historiques. Le sujet méritait mieux.

Olivier Schmitt

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