Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Richard Dowden, Africa: États faillis, miracles ordinaires (Bruxelles, Nevicata, 2012, 592 pages).

Quatre ans après sa publication à Londres, Africa, Altered States, Ordinary Miracles (Portobello Books) est enfin traduit en français. Bizarrement, c’est un éditeur belge spécialisé dans la littérature de voyage qui en a pris l’initiative. La traduction est calamiteuse mais met à la disposition d’un large public francophone un ouvrage de référence.
Cette somme de près de 600 pages se veut ouvrage de vulgarisation et en a la fluidité d’écriture très anglo-saxonne, au risque parfois de raccourcis simplificateurs et de facilités racoleuses. Motivé par le souci d’illustrer la diversité d’un continent immense que ne saurait embrasser une analyse abstraite et générale de l’« Afrique », Richard Dowden entraîne ses lecteurs dans un long voyage où se mêlent des souvenirs de reportages et des analyses plus conceptuelles. Les étapes de ce périple (Ouganda, Kenya, Zimbabwe, Afrique du Sud, etc.) sont emblématiques de l’indifférence britannique à l’égard de l’Afrique francophone. La Côte-d’Ivoire, le Gabon, le Mali sont à peine évoqués ; quant à l’étape sénégalaise, elle n’est que prétexte à une analyse – au demeurant captivante – des ressorts de la création de richesses en Afrique.
R. Dowden veut combattre les stéréotypes qui lestent la perception occidentale de l’Afrique : un continent saigné par des guerres tribales, gouverné par des autocrates sanguinaires, frappé par des pandémies dévastatrices. Il s’inscrit dans une veine « afro-optimiste » : les guerres sont aujourd’hui en Afrique moins nombreuses qu’hier, la croissance y est restaurée, la démocratie s’y est acculturée. Trois facteurs, selon lui, ont contribué à la naissance de cette « nouvelle Afrique » : le téléphone portable, l’arrivée des Chinois et l’émergence d’une classe moyenne. Il se montre très critique à l’égard des politiques occidentales d’aide au développement. Plus efficaces, dit-il, seraient la réduction des subventions aux agricultures occidentales – qui nuisent à la compétitivité des agricultures africaines –, des dérogations transitoires aux règles de libre-échange – qui bénéficient au Nord et lèsent le Sud – et la lutte contre les paradis fiscaux – où se réfugie l’argent de la corruption.
R. Dowden aime l’Afrique. Tout en faisant le constat des errements du continent et plus encore de ses dirigeants, il conserve un insubmersible attachement pour ses habitants, leurs existences et leurs « espoirs infiniment interpellants » (comme l’écrit avec un lyrisme caricatural la quatrième de couverture, dont on espère qu’elle n’est pas de la plume de l’auteur). C’est ce qui rend son ouvrage si attachant. Pour autant, cet amour revendiqué pour son sujet d’étude suscite comme un malaise. Il est monnaie courante dans les études africaines : Sylvie Brunel, la préfacière, le revendique aussi. Est-il nécessaire d’aimer l’Afrique pour en parler ? Après les excès de l’afro-pessimisme teinté de racisme, l’afro-optimisme n’est-il pas en train de sombrer dans les excès inverses, au nom d’une empathie démagogique ? N’y aurait-il pas de place pour une approche dépassionnée, objective, du continent africain ?

Yves Gounin

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