Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Guillaume Vareilles,  Les Frontières de la Palestine 1914-1917 (Paris, L’Harmattan, 2011, 320 pages).

Dès l’Antiquité, les contours de la Palestine sont imprécis. Officiellement, la Palestine correspond à l’ancienne province romaine, puis byzantine, qui englobe une zone située entre le fleuve Litani au nord, la vallée du Jourdain et la vallée de l’Arava à l’est et le Sinaï au sud. Sous l’Empire ottoman, la zone qui s’étend du Taurus au Sinaï, appelée Syrie, est morcelée en circonscriptions administratives et, à la fin du XIXe siècle, rattachée à deux vilayet, celui de Damas et celui de Beyrouth, le sandjak de Jérusalem ayant un statut autonome. Géographiquement, la Palestine n’en est que la partie méridionale. Lors des négociations sur le démantèlement de l’Empire ottoman, dès juillet 1915, le terme Syrie est utilisé dans cette acception. Dans ses instructions à François Georges-Picot, Aristide Briand est clair : « De tout temps, l’appellation Syrie a été entendue en France dans un sens large, et le traité de 1840 ne faisait que reproduire l’opinion générale, en donnant le nom de Syrie méridionale à la Palestine. » Dans le cadre de la négociation des accords Sykes-Picot, la France revendique son influence sur la totalité de la Syrie ainsi comprise, se heurtant aux Britanniques, peu désireux de voir la France présente dans cette région proche du canal de Suez et de la route des Indes.
Le débat continuera jusqu’à la conférence de San Remo. L’Organisation mondiale sioniste, en partie relayée par la Grande-Bretagne, revendique une Palestine allant d’Al Arish – actuellement en Égypte – à Saïda au Liban ; et à l’est un territoire franchissant le Jourdain pour s’arrêter au chemin de fer du Hedjaz : la « ligne Deauville » s’oppose à la « ligne Meinertzhagen ». À la suggestion de Robert de Caix, secrétaire général du Haut-Commissariat à Beyrouth, un accord est trouvé en mars 1920 sur la « frontière biblique », de Dan à Beer-Sheva. Dans la négociation, les préoccupations en matière d’eau jouent un rôle important, la Grande-Bretagne essayant de contrôler le château d’eau naturel de la Palestine qu’est le mont Hermon, de même que le fleuve Litani.
La Déclaration Balfour n’évoque qu’un « foyer national » pour les juifs, mais il s’agit bien potentiellement d’un État. Dès mars 1916, dans un courrier adressé aux ambassadeurs britanniques à Moscou et Paris, le secrétaire au Foreign Office Edward Grey reconnaît que « les colons juifs pourraient être autorisés à prendre en main la direction des affaires intérieures de Palestine ». La préoccupation des Britanniques était d’« attirer vers les Alliés l’opinion internationale juive plutôt proallemande ». Du côté français – élément moins connu –, l’approche est comparable. F. Georges-Picot est informé des discussions entre autorités britanniques et représentants de la communauté juive. Dans une note du ministère des Affaires étrangères remise par Jules Cambon, ambassadeur à Londres, à Nahum Sokolov, un des interlocuteurs de la communauté juive du Foreign Office, la France reconnaît les droits à la « renaissance d’une nationalité juive sous la protection des Alliés » en Palestine. Mais dès les années 1930, il apparaît que les communautés juive et arabe ne pourront cohabiter et que deux États séparés devront être créés.
Ce livre, fortement documenté, permet de comprendre à quel point l’Histoire pèse sur cette zone stratégique qu’est le Moyen-Orient. Les discussions sur un futur État palestinien ont toujours buté notamment sur la question des frontières. À un siècle d’intervalle, la question demeure aussi sensible. Entre les partisans d’un Eretz Israel aux limites imprécises et ceux d’un État palestinien dont les frontières restent à déterminer, un vrai dialogue reste à établir.

Denis Bauchard

Pour acheter PE 4/2012, cliquez ici.
Pour vous abonner à
Politique étrangère, cliquez ici.