Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2013). Yves Gounin propose une analyse du livre de David Van Reybrouck, Congo, une histoire (Arles, Actes Sud, 2012, 864 pages).

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Le livre de David Van Reybrouck fera date. Déjà couronné par le prix AKO (le Goncourt néerlandais) et le prix Médicis de l’essai, cette histoire monumentale du Congo de la préhistoire à nos jours dépoussière l’encyclopédisme. À la différence de ces cathédrales empesées qui croulent sous leur propre poids et que personne ne lit, telles L’Histoire générale de l’Afrique éditée par l’UNESCO ou The Cambridge History of Africa, il réussit à brosser l’histoire d’un pays-continent en mobilisant tous les champs de la connaissance (politique, économique, ethnologique, artistique, etc.) sans jamais ennuyer.
La gageure a été relevée par un homme-caméléon : philosophe de formation, titulaire d’une thèse en archéologie, journaliste, dramaturge, David Van Reybrouck écrit un livre qui lui ressemble. Pendant près de sept ans, il a lu tout ce qui a été écrit sur l’ancienne colonie belge, comme en témoigne son imposante bibliographie – éclairée par une « justification des sources » qui permet de la hiérarchiser. Surtout, il a sillonné sans relâche ce vaste pays, à la recherche des témoins de son histoire. Car la caractéristique du livre est la place donnée au témoignage des gens ordinaires, des petites gens, dont le point de vue s’exprime rarement dans l’histoire officielle. C’est ce qui en fait l’originalité, c’est ce qui en fait aussi le sel, tant D. Van Reybrouck a eu la chance de croiser des personnalités qui, chacune à leur façon, livrent un témoignage éclairant sur les étapes de l’histoire congolaise : la colonisation belge, les affres de l’indépendance, la dictature mobutiste, l’avènement de la troisième république…
Cette fresque ne se réduit pas pour autant à un simple exercice de history from below. Il ne s’agit pas seulement de raconter l’histoire du Congo par en bas ou par le petit bout de la lorgnette, mais de faire résonner la petite histoire avec la grande, comme Alain Corbin le fait pour la France du xixe siècle. Le résultat est une étonnante réussite, qui ne verse ni dans la repentance postcoloniale, ni dans l’afro-pessimisme. Le Congo tel qu’il transpire de ce voyage est, comme la splendide couverture qui l’introduit, un pays digne et sombre : les errements de la colonisation belge ont leur part de responsabilité dans son retard, mais les Congolais ont aussi la leur.
L’histoire du Congo de D. Van Reybrouck est une histoire subjective et se revendique comme telle. Contrairement à la règle qui considère le « je » haïssable et oblige l’auteur à s’omettre de son œuvre, D. Van Reybrouck évoque au fil des pages le processus de son écriture. Une telle démarche était déjà celle de Daniel Mendelssohn dans Les Disparus (Paris, Flammarion, 2007) ou Laurent Binet dans HHhH (Paris, Grasset, 2010), sans parler des romans « non fictionnels » de Jean Rolin ou d’Emmanuel Carrère. À la frontière de la littérature, du reportage et des sciences humaines, ces œuvres définissent une nouvelle relation à l’écriture. Plus personnelle, plus modeste, plus moderne. En un mot plus captivante.
Yves Gounin

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