Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2013). Frédéric Attal propose une analyse du livre de Guillaume Delacroix, Le Mystère Mario Monti. Portrait de l’Italie post-Berlusconi (Paris, Plon, 2012, 304 pages).

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Mario Monti n’est certes pas le seul Premier ministre non issu du suffrage universel à avoir été désigné par le président de la République italienne – en novembre 2011. Ce rebondissement politique peut pourtant surprendre de ce côté-ci des Alpes où, contradictoirement, l’on s’étonne à la fois d’un parlementarisme strict où les ministres élus demeurent parlementaires et d’un président de la République qui exerce pleinement son droit constitutionnel de choisir le chef de l’exécutif. Ce n’est pas le moindre des mérites de l’ouvrage de Guillaume Delacroix que de rappeler les pouvoirs du chef de l’État italien, auxquels il consacre un chapitre. Les précédents existent : Carlo Azglio Ciampi ou Lamberto Dini, et le fait que ce dernier ait été ministre de Silvio Berlusconi pendant quelques mois ne change rien à son état premier d’universitaire, passé par le Fonds monétaire international (FMI) et par la Banque d’Italie. Un « technicien » donc, comme M. Monti. Le terme – G. Delacroix en convient – ne caractérise qu’imparfaitement ce que représentent M. Monti, ses prédécesseurs et ses pairs. Théoricien plus que « praticien », le professeur d’économie et président de la Bocconi de Milan n’est par exemple guère familier de l’entreprise, ce qui explique entre autres éléments la confondante naïveté avec laquelle il découvre, pour la déplorer, l’injustice des marchés. Il est un intellectuel-expert, comme l’Italie en compte tant, qui se targue d’avoir contribué à former la classe dirigeante italienne, mais qui, en bon « technocrate » adepte du gouvernement des experts, a quelque mal à comprendre les subtilités du parlementarisme et de la démocratie italienne. En cela, il incarne aussi une forme d’« antipolitique ».
Dans un récit alerte, bien documenté et appuyé notamment sur de précieux entretiens – en particulier avec M. Monti lui-même –, G. Delacroix nous entraîne dans les coulisses du pouvoir ; mais il éclaire aussi le contexte économique, en bon expert qu’il est de cette question. Il saisit aussi, et décrit finement, tous les rouages de la politique italienne et la psychologie de ses acteurs. Quand il écrit que si S. Berlusconi a peur de perdre, Pier Luigi Bersani – candidat du centre gauche à l’issue des primaires – a peur de gagner, l’heureuse formule décrit bien le problème du rapport au pouvoir de l’ancien Parti communiste italien (PCI), même dilué au sein du Parti démocrate. L’analyse du phénomène Beppe Grillo, dernier avatar du cancer populiste qui secoue l’Italie, est des plus pertinentes. B. Grillo serait un Berlusconi bis, moins riche mais tout aussi habile à manier les médias, et sans aucun autre programme que celui d’injurier la classe politique qui, il est vrai, n’est jamais sortie des travers de la corruption.
Exception faite de quelques raccourcis – comme celui qui fait de Altiero Spinelli un « ancien communiste », ce qu’il a certes été, mais le qualificatif omet sa dimension fédéraliste atlantiste –, ce livre permettra au public de bien comprendre la politique et l’économie italiennes de ces 20 dernières années. Il aurait cependant été intéressant d’établir un parallèle avec Romano Prodi, pour tenter de comprendre d’où vient cette technocratie politique et pourquoi l’Italie en est friande au point de lui confier, de façon récurrente désormais, les rênes du pouvoir. L’auteur prévoit que la « météorite » Monti ne franchira pas le pas de la joute électorale. Cela s’est avéré faux – même pour un résultat hasardeux.

Frédéric Attal

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