Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage d’Alicja Curanovic, The Religious Factor in Russia’s Foreign Policy (Londres, Routledge, 2012, 358 pages).

couv-Curanovic-9780415688314En réintégrant le facteur religieux dans sa diplomatie, la Russie de Vladimir Poutine cherche à pallier les errements de l’ère Eltsine : une identité nationale floue conjuguée à une perte d’influence internationale et à la guerre en Tchétchénie.
Au fond, la diplomatie religieuse du Kremlin diffère peu de celle conduite par les tsars : à l’époque impériale, le facteur religieux était d’abord utilisé pour légitimer les activités de l’État hors de ses frontières, élargir sa sphère d’influence et mobiliser la société russe contre des menaces extérieures. Au-delà de rappels historiques exposés de manière fluide, l’ouvrage apporte deux enseignements majeurs.
En premier lieu, l’importance accordée au facteur religieux dans le « projet de civilisation » porté par la diplomatie russe. Le spirituel apparaît toujours dans les doctrines officielles de politique étrangère et de sécurité de la Fédération, qui y est dépeinte comme un « pôle civilisationnel » avec son propre espace culturel (le russkiy mir – monde russe) et une mission spécifique (promouvoir le dialogue interconfessionnel).
Tant le russkiy mir que le dialogue entre les religions sont liés à la sécurité nationale et au soft power russes. Les doctrines successives mentionnent deux « menaces spirituelles » : l’extrémisme religieux et l’érosion de l’identité nationale par la mondialisation.
Taxée d’« occidentalisation », la mondialisation doit conduire la Russie, pour les documents officiels, à s’assurer une « souveraineté civilisationnelle », qui ne doit pas isoler la Russie des influences extérieures mais assumer une spécificité culturelle qui se démarque de l’Occident.
L’ouvrage a aussi le mérite de rappeler que la diplomatie religieuse russe ne se limite pas au christianisme. Arrivant au Kremlin dans un contexte de reprise des hostilités au Caucase du Nord, V. Poutine a voulu gagner le respect des élites musulmanes russes et étrangères et mettre fin au financement de fonds caritatifs islamiques en Russie par les monarchies du Golfe. Cette politique de séduction à l’égard des pays musulmans, facilitée par la montée de l’antiaméricanisme après l’occupation de l’Irak, n’en a pas moins été menée de concert avec les institutions religieuses chrétiennes et musulmanes de la Fédération.
L’Église orthodoxe russe a concentré ses efforts sur le Proche-Orient. Son implication dans la région, explique l’auteur, appuie les actions du ministère des Affaires étrangères, dans un canal diplomatique parallèle. Elle joue régulièrement le rôle de médiateur : en témoignent les médiations du patriarche de Moscou auprès du ministre des Affaires étrangères irakien en 2003 ou, plus récemment, auprès de Bachar el-Assad. Dans la relation Russie-Iran, le patriarche joue un rôle incontestable : selon le chef de la diplomatie russe, le département des relations extérieures de l’Église orthodoxe russe y agit plus efficacement que ses propres diplomates… Plus globalement, avec l’aide de ses institutions religieuses, le Kremlin a su projeter l’image d’une Russie où islam et christianisme coexistent pacifiquement. Si le but premier est de limiter la polarisation entre la majorité ethniquement russe et les musulmans de Russie, l’objectif des autorités est aussi de soutenir des pôles de résistance à l’unilatéralisme des États-Unis. Le facteur religieux est ainsi un moyen, pour la Russie, de définir sa place dans le système international.

Julien Nocetti

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