Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Clément Therme propose une analyse de l’ouvrage d’Ali M. Ansari, The Politics of Nationalism in Modern Iran (Cambridge, Cambridge University Press, 2012, 352 pages).

couv-AnsariLe premier chapitre de cet ouvrage, consacré aux « lumières iraniennes » dans la période constitutionaliste (1905-1962), le souligne : si l’idée d’Iran a été inventée, ce fut par la dynastie sassanide (223/4-651 après J.-C.), avec la notion de terre d’Iran (Iran zamin ou Iran shahr).
Mais l’émergence contemporaine du nationalisme iranien résulte d’abord de l’influence intellectuelle occidentale qui, à partir de la seconde moitié du xixe siècle, suscite les premiers débats entre Iraniens à propos de l’idée de nation. L’auteur analyse ici l’influence déterminante jouée par une élite intellectuelle progressiste, qui s’intéresse au rôle de l’État et aux conséquences du « despotisme ». Ces nationalistes iraniens « éclairés » proposent une réflexion politique fondée sur l’idée de république plutôt qu’un véritable système politique démocratique. Très présentes sont également les réflexions sur l’indépendance de la justice, le combat entre la liberté et l’autocratie symbolisé par l’affrontement entre les intérêts britanniques et russes pendant la révolution constitutionaliste, la nécessité d’« européaniser » l’Iran, la purification de la langue persane, l’unité et l’indépendance de la nation. Dans ses écrits, Hassan Taqizadeh, fondateur de la revue Kaveh, explique ainsi que le peuple persan se signale par une croyance ancienne, presque héréditaire, dans les civilisations française et anglaise, alors que la Russie reste perçue comme « semi-barbare ».
La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule « L’âge des extrêmes » (1962-1991), période où le mythe du sauveur connaît son apogée, avec les figures du shah Mohammad-Reza Pahlavi et de l’imam Khomeini. Cette personnalisation consacre l’échec du projet politique de réforme radicale des lumières iraniennes. A contrario, l’incapacité des Iraniens à assumer leurs responsabilités est scandée de leur enthousiasme à accuser l’Autre – intérieur ou extérieur – de leurs échecs. Ce n’est qu’en 1962 que l’Iran entre dans une phase révolutionnaire marquée par la définition d’une nouvelle histoire scientifique au service d’un nationalisme moderne, au sein duquel le culte de Cyrus est central. Par ailleurs, le nationalisme iranien est marqué par la figure iconique de Mohammad Mossadegh, héritier de la révolution constitutionaliste. Pour l’auteur, l’événement déterminant de l’histoire contemporaine iranienne n’est pas tant la révolution islamique de 1979 que celle de 1905, du fait de la rupture politique qu’elle produit.
Enfin, la dernière partie revient sur l’ère de la contestation (1991-2012), marquée par l’émergence d’une dialectique complexe entre État et société, notamment en raison de l’appropriation de l’idée de nation par une partie de l’opinion publique. En même temps, l’auteur analyse comment des clercs comme Ali Motahari tentent de concilier religion et nationalisme, montrant que la relation entre l’islam et l’Iran peut être complémentaire. Il relève d’ailleurs que dès 1991, avec la visite discrète du président Rafsandjani à Persépolis, on passe de la notion de révolution islamique à celle de révolution irano-islamique.
Cet ouvrage deviendra un classique pour les étudiants et tous ceux qui s’intéressent à l’Iran contemporain : il permet de comprendre les forces profondes, culturelles, qui sous-tendent les évolutions politiques de l’Iran, depuis le début du xxe siècle jusqu’à nos jours.

Clément Therme

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